57 ans après, le Parlement Francophone Bruxellois (PFB) est le premier Parlement belge à reconnaitre une page sombre et méconnue de la colonisation belge: la ségrégation menée par l’Etat belge à l’égard des Métis et ses conséquences dramatiques, en ce compris les adoptions forcées.
C’est un chapitre de l’Histoire de la colonisation assez méconnu. Celui des enfants métis nés pendant la colonisation. Des enfants nés d’une relation entre un père belge et une mère congolaise, rwandaise ou encore burundaise. Assumani Budagwa le relatait dans un livre paru en 2014 sous le titre « Noirs, blancs, métis: La Belgique et la ségrégation des Métis du Congo belge et du Ruanda-Urundi (1908-1960) ».
Histoire d’une ségrégation menée par l’Etat belge
Charles, 72 ans, fait partie des milliers de ces métis issus de la colonisation belge au Congo. Né d’une mère congolaise et d’un père belge, il a été retiré très jeune de sa famille. Une blessure qui n’est pas prête de se refermer. « Peu après ma naissance, nous avons déménagé au Rwanda, suite à la mutation de mon père, qui était agent sanitaire au service de l’État.
Bravant les interdits et les préjugés, il m’a reconnu. Cet acte lui a valu son renvoi du fonctionnariat colonial belge. C’est au Rwanda que ma mère fut convoquée pour la première fois chez un administrateur territorial. Celui-ci décida de me retirer de ma mère sur décision de l’État colonial. Je n’avais que 6 ans. »
Les enfants de Save
Le jeune Charles est alors placé en institution à Savé. Sa mère s’installe non loin de là pour tente de garder contact avec son fils. « C’était une espèce de caserne où on ne sortait presque jamais. Certains enfants recevaient des coups de fouet et étaient ligotés contre un mur. Heureusement pour moi, j’avais la chance de pouvoir être avec ma maman durant les vacances mais j’étais un cas rare », raconte l’homme, désormais actif au sein de l’association Métis de Belgique.
Quelques années plus tard, l’État organise l’envoi d’un grand nombre d’enfants métis en Belgique. « Je suis arrivé ici lorsque j’avais 12 ans. Malgré le fait que je dispose d’un acte de naissance signé par un officier de l’État civil belge, j’ai été mis sous tutelle sans aucun jugement. Nous étions alors placés en orphelinat ou en maison d’accueil. J’ai eu de la chance car j’ai été placé dans une famille extraordinaire mais ça n’a malheureusement pas été le cas pour tout le monde. Certains étaient exploités ou maltraités », se souvient Charles, qui vit désormais à Koekelberg.
Ce n’est finalement qu’à ses 18 ans que le jeune adulte obtient la nationalité belge. Il réussit néanmoins à rester en contact avec sa mère. « Je lui avais promis de revenir et je l’ai fait en 1977. Le fils aîné de ma famille d’accueil a même été lui rendre visite lorsqu’il est parti en mission au Rwanda. Et puis, il y a eu le génocide… »
Les enfants métis comme un danger
Dès leur petite enfance, on inculque aux métis qu’ils ont plus de valeur que les Africains, mais qu’ils restent inférieurs aux Européens…
Il n’y a pas de chiffres précis. Mais le chiffre de 20.000 enfants a été évoqué. Le phénomène prenait incontestablement de l’ampleur, à tel point que les autorités coloniales puis le gouvernement belge ont commencé à se pencher sur la question. On appelait alors ces enfants, des enfants mulâtres. Le terme vient de mulet, un croisement entre un âne et une jument. Cela donne une idée de la manière dont on les considérait.
Ces enfants attisent la curiosité des puissances coloniales, comme a pu le constater Assumani Budagwa. Il enquête sur le sujet depuis plus de 20 ans. Et vient de consacrer un livre à ce sujet: « Dès la fin du 19ème siècle, plusieurs puissances coloniales prennent conscience du phénomène de métissage. Et elles s’organisent en congrès pour essayer de comprendre l’ampleur du phénomène et aussi pour commencer à étudier l’enfant né de l’union ou de ces mélanges de races.
On les étudie presque comme on étudie les insectes: l’habitat, les types de maladies, le type d’alimentation qui leur convient etc… Et donc très vite, la plupart des puissances coloniales considèrent le métissage comme étant une menace aux intérêts coloniaux. Plus particulièrement, les métis sont considérés comme des dangers parce qu’il y a une ascendance européenne et une goutte de sang blanc.
Cumulant disait-on, les tares des deux races, ils pouvaient être les ferments de révolte. Cette obsession qui considère les métis comme un danger provient essentiellement du Canada, notamment de Manutauba où un métis appelé David Riel a été un leader de mouvements de contestation des métis. Et depuis lors, on a commencé à considérer que tout enfant métis était porteur de ces germes de révolte ».
La ségrégation des enfants métis
Il y avait donc cette méfiance. Les Belges décident alors de trouver une place à ces enfants pour qu’ils ne nuisent pas en quelque sorte à l’intérêt de la colonie ni au « prestige racial ». Ils décident donc de séparer ces enfants de leurs familles d’origine, la plupart vivaient avec leurs mères africaines, et de les rassembler dans des colonies scolaires créées spécialement pour les métis.
Assumani Budagwa raconte: « des archives et des témoignages que j’ai consultés, il apparaît plusieurs manières de procéder. Il y a des endroits où ça a été brutal, où l’administration a envoyé des policiers dire : vous ramassez tous les métis que vous retrouvez et vous les ramenez au premier poste de mission. Il y a aussi des parents, des pères le plus souvent, qui, sentant que leur mission se terminait, ne souhaitant pas ramener leurs enfants en Europe, ont conduit eux-mêmes leurs enfants dans des centres d’accueil.
On pense même parfois que leurs employeurs les y encourageaient. Il y a aussi de manière très sournoise des délégations qui étaient envoyées auprès des mamans pour leur dire : l’état voudrait récupérer les enfants des Bazungus, les enfants des Européens, pour leur donner une éducation et donc ne vous opposez pas à ce que votre enfant soit acheminé à tel ou tel endroit. Il y a aussi des cas où ce sont les missionnaires, avec la crédibilité qu’ils avaient, qui sont allés trouver notamment les mamans pour leur dire : on peut s’occuper de votre enfant, lui donner une bonne éducation dans un internat. Et les mamans ont cru de bonne foi que leurs enfants étaient pris en charge par le clan européen, le clan blanc de leur papa ».
Résolution du Parlement Bruxellois
C’est pour reconnaître cette ségrégation à l’encontre des métis sous l’administration coloniale du Congo belge ainsi que la politique d’adoptions forcées que le Parlement francophone bruxellois a voté ce vendredi 17 mars 2017, la résolution reconnaissant la ségrégation ciblée des Métis de la colonisation initiée par Julie de Groote (cdH), la présidente du Parlement bruxellois.
« C’est bien d’une politique officielle dont il s’agit aujourd’hui, une politique délibérée menée par l´Etat belge vis-à-vis des Métis, ni Blancs ni Noirs, ce ‘pénible problème’ et – je cite Nolf à nouveau – ‘aux conséquences sociales redoutables’. Ces enfants sont pratiquement enlevés à leur mère, les fratries séparées, pour être élevés dans des orphelinats, dont le plus connu est celui de SAVE. Autour de l’indépendance, les enfants sont envoyés en Belgique, placés dans des homes, mis sous tutelle ou confiés en adoption qu´on peut souvent qualifier de forcée.
Cette partie de l’histoire est méconnue, et le travail considérable de l’AMB, l’Association des Métis de Belgique, de la CEGESOMA, le livre d’Assumani Budagwa, les nombreux travaux et témoignages récents ont contribué à faire connaitre le destin de ces jeunes Métis. Une histoire méconnue, certes, mais pas cachée, pas taboue. Au contraire, une histoire construite, délibérée, et qui dès lors engage notre responsabilité collective » a-t-elle déclarait, lors de la clôture des débats, pour démonter la responsabilité engagée de l’Etat belge dans cette sordide action politique.
Par cette resolution, un texte qui a fait l’objet d’un consensus politique, le parlement via la Commission communautaire française (COCOF) demande au gouvernement fédéral belge de prendre des mesures en vue de résoudre les problèmes administratifs que rencontrent les métis et leurs descendants mais aussi de faciliter les retrouvailles par une meilleure collaboration avec les ambassades belges présentes sur place.
« Reconnaitre, c’est nommer, reconnaitre, c’est accepter sa responsabilité. C’est aussi pouvoir ensuite aller plus loin et réparer. On sait combien ce travail de mémoire collective est délicat. On sait combien il est difficile en Belgique de s’accorder sur cette histoire coloniale », renchérissait la presidente du Parlement.
Dans la foulée, le Parlement bruxellois francophone insiste également sur la simplification de la consultation des archives coloniales en Belgique par les métis belges, leurs descendants ainsi que par les habitants le Congo, le Rwanda et le Burundi.
« C’est la première fois en Belgique ! Merci au Pfb et un remerciement spécial à Mme de Groote, la Présidente, son équipe et tous les parlementaires francophones bruxellois de s’être engagés auprès de l’AMB [l’Associaiton des Métis de Belgique,NDLR] ! Merci de votre soutien… Un tout petit pas de mémoire mais un grand moment d’émotions et de dignité retrouvée ! « , a déclaré l’AMB dans un communiqué.