À neuf mois des élections en République démocratique du Congo, Jean-Pierre Bemba, gros poisson de la sphère politique congolaise, ex-chef de guerre et président du Mouvement de libération du Congo (MLC) a été nommé vice-Premier ministre et ministre de la Défense. L’ordonnance présidentielle a été lue tard dans la soirée du jeudi 23 mars par Tina Salama, porte-parole du président Félix Tshisekedi.
Jean-Pierre Bemba qui a presque tout connu se voit confier la lourde tâche de la Défense, alors que l’est de la RDC est cible de violences depuis près de 30 ans, avec aujourd’hui une tension béante avec le régime de Kigali, accusé de soutenir les rebelles du M23. Sa mission est claire, faire taire les armes de la guérilla, assurer un bon climat sécuritaire pour des élections apaisées sur l’étendue nationale congolaise.
Cette nomination qui se montre stratégique est aussi le résultat d’un temps réfléchi par le Président Félix Tshisekedi. Pour briguer un second mandat, le fils d’Etienne Tshisekedi a besoin de toutes les parties stratégiques de la RDC. Il le sait bien qu’au pays de Lumumba, « on ne peut pas gagner d’élections sans une coalition interethnique », commente un analyste politique congolais.
Avec sa popularité déclinante dans la partie ouest du pays, Jean-Pierre Bemba se veut offrir un électorat à l’homme qui l’accorde un poste stratégique et sensiblement une lourde tâche pour marquer son retour dans la gestion de la chose publique.
La guerre ? Jean-Pierre Bemba, surnommé « le petit Mobutu » l’a déjà connu. Comme le peintre, l’homme qui s’est livré au mutisme suave a eu le temps d’observer de près l’ancien président du Zaïre Mobutu, au temps de sa jeunesse, lorsqu’il était élevé à Gbadolite, le village-palais du mobutisme finissant, au fin fond de la jungle de l’Equateur.
Il a également connu l’enfance d’un fils à papa, l’exil, la guérilla et ses atrocités, les miels de la vice-présidence, la passion d’une campagne électorale et la prison. Donc, le Wonderboy a un profil idoine pour apporter la paix dans l’Est de la RDC. Mais, sera-t-il possible de l’installer dans 9 neuf des élections ? La question reste dans les airs, seul le temps pourra nous apporter la réponse.
Dès sa naissance, deux ans après l’indépendance de la RDC, soit en 1962 dans la province de l’Équateur, Jean-Pierre Bemba était programmé pour régner. Son père, Jeannot Bemba Saolona, un métis portugais, était le grand argentier de Mobutu. Il grandit entre le Congo et la Belgique.
Au début des années 90, Jean-Pierre Bemba rentre de Bruxelles, où il mène des études de commerce dans une bonne école. Il se lance dans les télécoms, l’aéronautique, l’audiovisuel. Il investit, dit-on, l’argent du vieux kleptocrate zaïrois. Sa sœur se marie avec Nzanga Mobutu, l’un des fils du chef.
Lorsque Mobutu est renversé, en 1997, par Laurent-Désiré Kabila, Bemba prend le chemin de l’exil et rafle, dit-on, ce qui reste de la fortune de son père. Un an plus tard, il revient au pays à la tête du Mouvement de libération du Congo (MLC), un parti-milice formé avec l’aide de l’Ouganda, qui envahit tout le nord-est de la République démocratique du Congo (RDC).
Bemba va prendre ses quartiers dans l’ancien palais pillé de Mobutu, où il passe le temps en jouant à la Playstation. Il pille tout ce qui se monnaye : or, bois précieux, diamants, café. Les rapporteurs des Nations unies le mettent en cause, comme tous les autres belligérants, congolais et étrangers, de ce qu’on a appelé la «première guerre mondiale africaine».
Très vite, il s’impose comme le principal rival de Joseph Kabila, qui succède à son père début 2001. Les deux atteignent le second tour de l’élection présidentielle de 2006, véritable élection démocratique, une première dans l’histoire du pays depuis l’indépendance en 1960. Au terme d’une intense campagne au cours de laquelle Bemba n’a eu de cesse de souligner sa « catholicité » face aux origines soi-disant douteuses de son adversaire.
Kabila l’a finalement emporté facilement avec 58 voix. Bemba doit se contenter du siège sénatorial. Il y a un an, il a été contraint à l’exil par la garde présidentielle, qui a désarmé de force son garde du corps privé. Depuis, il vit au Portugal, près de Faro.
Jean-Pierre Bemba avait été condamné à 18 ans de prison par la Cour pénale internationale (CPI) pour des crimes commis en République centrafricaine avant d’être acquitté en appel en 2018, au terme de dix ans d’emprisonnement.