Tout se dit autour de la guerre d’agression que subit la RDC. Le déroulement des événements sur le terrain présage divers scénarios. Cette crise pourrait aussi être transformée en opportunité pour refonder un État plus fort. C’est ce que pense le Dr. Dédé Watchiba, auteur, chercheur et universitaire congolais (RDC) spécialisé dans les sciences sociales et le développement. D’après lui, cela dépendra de la volonté des Congolais et de leurs dirigeants.
Dans un entretien avec Kinshasa Times, l’auteur de l’ouvrage « L’Afrique trahie – Démocratie et développement en danger », publié en décembre 2024, a partagé sa lecture sur la situation sécuritaire à l’est de la république caractérisé par l’avancée des forces armées rwandaise et leurs supplétifs du M23 dans le territoire congolais. Le Dr. Dédé Watchibale a évoqué les scénarios extrêmes et les possibilités historiques qui découlent de la situation actuelle. Lire l’intégralité de sa réflexion.
1. Le renversement du régime démocratique et un retour à la prise du pouvoir par les armes ?
Si l’on observe l’histoire récente de la RDC et de la région des Grands Lacs, les agressions extérieures ont souvent visé à influencer le pouvoir central plutôt qu’à le renverser directement (exception faite de 1997). Toutefois, la résistance institutionnelle et populaire, ainsi que les soutiens internationaux, rendent ce scénario peu probable à court terme, même si des forces adverses cherchent à fragiliser l’État congolais. Mais le manque de résistance militaire observé sur terrain peut changer la donne et donner des ailes aux rebelles et aux Rwandais d’arriver à Kinshasa comme en 1997.
2. La fin du Congo tel qu’hérité de la colonisation ?
Le risque de fragmentation existe notamment à travers les tentatives de balkanisation alimentées par des agendas régionaux et économiques. Cependant, malgré les défis, l’attachement du peuple congolais à son unité nationale reste fort. Si des parties du territoire sont contestées, l’idée d’un éclatement total du pays semble encore lointaine, surtout en l’absence d’un consensus interne et international sur une telle éventualité.
3. Un moment existentiel pour la refondation d’un Congo nouveau ?
C’est peut-être la lecture la plus constructive. L’agression actuelle pourrait être un catalyseur pour la refonte des institutions, de l’armée et du projet national congolais. Elle pose la question de la souveraineté réelle du pays et du modèle de gouvernance à mettre en place pour sortir du cycle des crises.
4. La guerre atteindra-t-elle Kinshasa ?
C’est un scénario peu probable à court terme. La RDC a connu des guerres où l’ennemi s’est approché dangereusement de Kinshasa (1997, 1998), mais aujourd’hui, le contexte militaire et géopolitique est différent. Une telle avancée impliquerait une guerre totale, avec des implications régionales et internationales lourdes. L’enjeu pour l’ennemi semble davantage le contrôle de l’Est du pays et la pression sur Kinshasa pour des négociations favorables. Mais comme je l’ai dit plus haut, la donne peut changer avec le manque de résistance militaire sérieuse.
En bref, l’issue dépendra de plusieurs facteurs : la capacité de résistance interne, les dynamiques régionales et l’implication de la communauté internationale. Ce moment peut être celui d’un effondrement ou d’une renaissance. Tout dépendra de la volonté des Congolais et de leurs dirigeants à transformer cette crise en opportunité pour refonder un État plus fort et plus souverain.
5. Quel risque y a-t-il que la crise se régionalise ?
Le risque de régionalisation du conflit en RDC est bien réel, et plusieurs éléments le favorisent. Tout d’abord, l’implication directe et indirecte des pays voisins est un facteur clé. Le rôle du Rwanda dans cette crise est avéré, mais d’autres États de la région, comme l’Ouganda et le Burundi, ont également des intérêts stratégiques en RDC. Si la situation venait à s’aggraver, il est possible que d’autres acteurs régionaux s’engagent davantage, soit en soutien au gouvernement congolais, soit pour protéger leurs propres intérêts.
Ensuite, l’équilibre des alliances et la reconfiguration des rapports de force dans la région pourraient accélérer cette dynamique. L’Afrique du sud, l’Angola et la Tanzanie, par exemple, ont historiquement joué un rôle dans la stabilisation de la RDC. L’Afrique du sud a récemment montré sa volonté d’intervenir diplomatiquement et militairement. Si le conflit s’intensifie, ces pays pourraient être contraints d’accroître leur engagement, transformant ainsi la crise en un affrontement plus large entre blocs régionaux.
Un autre facteur préoccupant est le risque de contagion sécuritaire. L’Est de la RDC est une zone de transit pour plusieurs groupes armés transnationaux, et une escalade prolongée pourrait favoriser leur prolifération au-delà des frontières congolaises. Des pays comme le Burundi, le Soudan du Sud et même la République centrafricaine pourraient être affectés par des effets collatéraux, rendant la situation encore plus complexe et difficile à contenir.
Par ailleurs, le conflit attire déjà l’attention des grandes puissances, notamment les États-Unis, la France, et d’autres acteurs comme la Russie et la Chine, qui ont des intérêts stratégiques en Afrique centrale. Si la situation dégénère, nous pourrions assister à une forme de guerre par procuration, où chaque puissance soutiendrait un camp selon ses propres calculs géopolitiques, compliquant encore davantage les perspectives de résolution.
Le conflit en RDC a toujours eu une dimension régionale, mais son intensification actuelle augmente le risque d’une implication plus ouverte des États voisins. Toutefois, une régionalisation incontrôlée serait coûteuse pour toutes les parties. C’est pourquoi des efforts diplomatiques sont en cours pour limiter l’expansion de la crise. La question est donc de savoir si ces efforts suffiront à contenir l’incendie ou si la région des Grands Lacs s’engage dans une nouvelle ère d’instabilité généralisée.