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Dossier Matata Ponyo : la folie juridique du juge constitutionnel [Tribune]

Fabrice BESANA MABUNDA Enseignant en Droit et Homme politique.

Dans un État de droit, le juge constitutionnel est le gardien de la Constitution. Il veille à sa protection et à sa stricte application, dans le respect de sa lettre et de son esprit. La Constitution constitue donc la seule et véritable limite de son action. Mais lorsque le juge constitutionnel franchit cette ligne, ce n’est plus seulement l’État de droit qui vacille : il est tout simplement enterré. Car le véritable cœur battant d’un État de droit, c’est avant tout sa Constitution.

Depuis plus de deux ans, la question de la compétence de la Cour constitutionnelle pour juger un ancien Premier ministre continue d’alimenter les débats dans les milieux juridiques et politiques. L’affaire judiciaire impliquant l’ancien chef du gouvernement, Augustin Matata Ponyo, a connu un parcours aussi confus qu’irrégulier : de la Cour constitutionnelle à la Cour de cassation, avant d’être renvoyée, sans base légale explicite, à la Cour constitutionnelle.

La question qui divise et fâche est donc simple : le juge constitutionnel est-il compétent pour juger un ancien Premier ministre ?

Pourtant, cette question a déjà été tranchée de manière claire et publique. Dans son arrêt RP 0001 du 15 novembre 2021, la Cour constitutionnelle s’est déclarée incompétente pour juger Matata Ponyo. Ce verdict, largement médiatisé, fut présenté comme un véritable procès pédagogique. La haute juridiction constitutionnelle, dans sa sagesse, affirmait ainsi qu’un ancien Premier ministre devait relever de la compétence de son juge naturel, car la compétence est d’attribution.

La force obligatoire des décisions de la Cour constitutionnelle :

L’article 168, alinéa 1er, de la Constitution congolaise est sans équivoque :

« Les arrêts de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours et sont immédiatement exécutoires. Ils sont obligatoires et s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles civiles et militaires, ainsi qu’aux particuliers. »

Cette disposition confère aux décisions de la Cour une force exécutoire et obligatoire erga omnes, y compris pour les juges qui les ont rendues. Un changement de composition au sein de la Cour ne saurait altérer la valeur juridique d’un arrêt définitif. Ce principe de l’autorité de la chose jugée est un pilier fondamental de tout État de droit.

Un retour choquant devant la Cour constitutionnelle

Malgré cette limpidité juridique, grande fut la surprise d’apprendre la réouverture de ce dossier par la Cour de cassation. Plus encore, celle-ci, par son arrêt du 22 juillet 2022 (RP 09/CR), a sollicité une interprétation de l’article 164 de la Constitution auprès de la Cour constitutionnelle.

Problème : l’article 161 de cette même Constitution énumère de manière limitative les autorités habilitées à introduire un recours en interprétation. Parmi elles : le Président de la République, le gouvernement, les présidents des deux chambres du Parlement, un dixième des membres de chaque chambre, les gouverneurs et les présidents des assemblées provinciales.

La Cour de cassation n’en fait pas partie.

En conséquence, sa demande était manifestement irrecevable. La Cour constitutionnelle, bien qu’ayant reconnu cette irrecevabilité, a tout de même procédé à l’interprétation de l’article en question, un acte juridiquement infondé.

Une interprétation illégale : la saisine d’office déguisée

En droit congolais, la saisine d’office de la Cour constitutionnelle en matière d’interprétation n’existe pas. Toute interprétation constitutionnelle doit être déclenchée par une autorité habilitée. Or, ici, la Cour s’est arrogée ce droit, foulant au pied la procédure. Que vaut donc une telle interprétation en dehors du cadre prévu par la Constitution ? Rien de plus qu’un avis personnel du juge, sans valeur juridique contraignante.

Le mépris d’un précédent arrêt : une contradiction manifeste

C’est ici que se révèle toute la folie juridique de cette affaire. La Cour constitutionnelle, dans une démarche incompréhensible, a contredit un arrêt qu’elle avait elle-même rendu, en s’octroyant la compétence de juger un ancien Premier ministre. Elle a ainsi violé l’autorité de la chose jugée, ignoré le caractère obligatoire de ses propres arrêts, et transgressé la Constitution qu’elle est pourtant censée protéger.

Ce revirement n’a été précédé d’aucune justification convaincante, ni de fondement juridique solide. Il apparaît davantage comme un forçage institutionnel, une volonté de poursuivre coûte que coûte un homme, au mépris des règles les plus élémentaires de l’État de droit.

Vers la déchéance du juge constitutionnel ?

Ce dossier met de façon évidente en lumière une dérive préoccupante du juge constitutionnel congolais. En trahissant sa propre jurisprudence, en s’affranchissant de la procédure constitutionnelle et en bafouant les principes d’impartialité, la Cour constitutionnelle compromet gravement la crédibilité de la justice en RDC.

Plus qu’un simple conflit de compétence, l’affaire Matata Ponyo révèle une crise profonde de la justice constitutionnelle, une instrumentalisation politique du droit, et, au final, une trahison de la Constitution. Si le juge constitutionnel perd son rôle de gardien pour devenir acteur d’une machination politique, alors oui, c’est bien à une folie juridique que nous assistons.

Et dans un État de droit, cette folie ne peut rester sans réponse.

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