Le pouvoir en Afrique est souvent perçu comme absolu lorsqu’on le détient, et insaisissable une fois qu’on l’a perdu. Pourtant, l’histoire récente montre que dans de nombreux pays, les anciens dirigeants ne quittent jamais vraiment la scène politique. Ils persistent dans les réseaux, les coulisses, les couloirs de la rébellion — parfois prêts à revenir. Le retour soudain de Joseph Kabila à Goma fait écho à des scénarios similaires en Angola et au Congo-Brazzaville. Les contextes diffèrent, mais le schéma est le même : le pouvoir ne change jamais totalement de mains quand le système demeure inchangé.
RDC : L’ombre de Kabila et le pari de Tshisekedi
Après près de vingt ans au pouvoir, Joseph Kabila a officiellement quitté la présidence en 2019, cédant le fauteuil à Félix Tshisekedi lors de ce qui a été présenté comme la première transition pacifique de l’histoire congolaise. Mais la réalité était bien plus complexe : le parti de Kabila a conservé le contrôle du parlement, des services de sécurité et des institutions clés de l’État.
La lente mais déterminée entreprise de Tshisekedi pour démanteler l’influence de Kabila a conduit à une rupture politique. Aujourd’hui, Kabila réapparaît à Goma, une ville contrôlée par les rebelles, tout comme son père l’avait fait en son temps. Le gouvernement crie à la « haute trahison », et le spectre d’un retour en force — voire d’un conflit civil — plane dangereusement.
Angola : Dos Santos et le choc du retour à la réalité
En Angola, João Lourenço a accédé à la présidence en 2017, choisi par le président sortant José Eduardo dos Santos après 38 ans de règne. Beaucoup s’attendaient à une continuité. Pourtant, Lourenço a très vite surpris : il a engagé une lutte frontale contre les réseaux de l’ancien régime, en particulier la famille Dos Santos.
Sa fille, Isabel dos Santos, jadis la femme la plus riche d’Afrique, a vu ses avoirs gelés et son influence économique démantelée. João Lourenço a ainsi affirmé son autorité, écartant progressivement les figures de l’ancien pouvoir. La transition angolaise, bien que non violente, a révélé à quel point les anciens présidents peuvent rester puissants en coulisses.
Congo-Brazzaville : le come-back armé de Sassou Nguesso
Dans les années 1990, Denis Sassou Nguesso avait quitté le pouvoir à la suite d’élections pluralistes remportées par Pascal Lissouba. Mais en 1997, Sassou revient par les armes, appuyé par l’armée angolaise. En quelques mois, il renverse Lissouba, plonge le pays dans une guerre civile, et reprend le contrôle du pays qu’il ne quittera plus.
Cette dynamique de retour armé, adossé à des alliances régionales, rappelle aujourd’hui les craintes autour de Joseph Kabila. Son retour à Goma, dans une zone sous influence rwandaise, suscite l’inquiétude d’un scénario à la Sassou : le retour d’un ancien chef d’État par les marges, dans un contexte de décomposition de l’ordre politique.
Trois cas, un même avertissement
Ce que ces trois expériences nous enseignent, c’est que le pouvoir ne se transmet jamais pleinement en Afrique si les structures de l’ancien régime ne sont pas déconstruites. Kabila, Dos Santos, Sassou : trois noms, trois formes de retour, trois manières de rappeler que le passé politique ne meurt jamais vraiment.
Une véritable transition ne se limite pas à un changement de visages. Elle exige une refonte des institutions, une clarté sur le passé, et le courage de rompre avec les pactes de l’impunité. Faute de quoi, les fantômes du pouvoir continueront de hanter le futur.
Dans la majorité des pays d’Afrique centrale et au-delà, la démocratie demeure l’exception. La norme, ce sont des présidents à vie, des alternances simulées, et des retours de l’ancien régime par la grande porte ou par les souterrains. Tant que les institutions ne seront pas plus fortes que les hommes qui les dirigent, les régimes continueront de tourner en rond, prisonniers de leurs passés inachevés.
Kabila arrivera-t-il a reprendre le pouvoir ?
Cela dit, un retour de Joseph Kabila au pouvoir en RDC reste semé d’embûches. D’abord, son image publique est largement délabrée : son régime de 18 ans est associé à une gestion économique calamiteuse, des scandales de corruption, une déliquescence institutionnelle et un lourd passif en matière de droits de l’homme. Ensuite, la passation de pouvoir négociée avec Tshisekedi en 2019 a été perçue par beaucoup comme une trahison du suffrage populaire, ternissant davantage sa crédibilité. Sur le plan international, Kabila ne bénéficie plus d’aucun soutien significatif. Enfin, il ne dispose plus de la même influence au sein de l’armée ni des services de sécurité, qui ont en grande partie basculé sous l’autorité de Tshisekedi. Autant d’obstacles majeurs qui compliquent toute ambition de reconquête.