Tel un parchemin ancien découvert au cœur d’une bibliothèque oubliée, Valentin-Yves Mudimbe, gardien infatigable de la pensée africaine, s’est éteint lundi 21 avril à l’âge de 83 ans.
Un voyage de Likasi aux plus grandes universités
Né le 8 décembre 1941 à Jadotville, aujourd’hui Likasi, dans la région du Katanga, Mudimbe a d’abord entrepris une formation monastique avant de choisir très tôt d’explorer les arcanes de la pensée et de l’histoire africaine. Après un doctorat obtenu à l’Université catholique de Louvain en 1970, il a enseigné à Haverford College et à l’Université Stanford, avant d’occuper la chaire Ruth F. Deverney à Duke University et un poste de maître de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales de Paris.
Son œuvre phare, L’Invention de l’Afrique, parue en 1988, a profondément transformé le champ des études postcoloniales en révélant comment les mentalités occidentales avaient façonné une représentation mythique et étrangère du continent. Pour ce livre, qui reste une référence essentielle, il a été honoré en 1989 par le Herskovits Award décerné par l’African Studies Association. À travers ses récits, il a permis aux Africains de retrouver les clés pour déchiffrer les méandres de leur propre histoire, insufflant à leurs mots la puissance d’un tambour ancestral.
En plus de ses essais, Mudimbe a également écrit des romans et des poèmes, allant de Déchirures (1971) à Les Corps glorieux des mots et des êtres (1994). Dans ces œuvres, sa langue, à la fois incisive et douce, scrute les blessures et les résurrections de l’âme africaine. Son savoir, associé à une empathie exceptionnelle, transformait chacun de ses écrits en un jardin où se mêlaient la rigueur philosophique et la chaleur d’un narrateur.
Tout au long de sa vie, Valentin-Yves Mudimbe a œuvré pour libérer la pensée africaine des contraintes dominantes. Il a inspiré de nombreuses générations de chercheurs en anthropologie, linguistique et histoire, démontrant que la décolonisation des savoirs nécessitait également une déconstruction des mots. Son engagement en faveur de la justice épistémologique a été comparé à celui d’Edward Said dans son ouvrage « Orientalism », plaçant Mudimbe parmi les figures emblématiques de la pensée postcoloniale.
À l’image d’une étoile qui s’éteint à son apogée, Mudimbe laisse derrière lui un ciel d’encre, riche en réflexions à explorer. Bien que son départ soit une perte immense, il ne pourra jamais éteindre l’ardeur de sa pensée : chaque page qu’il a écrite reste une promesse, un souffle incitant à redécouvrir l’Afrique à travers un regard libéré des entraves.