Le 24 avril 1990, depuis la Cité de la Nsele à Kinshasa, Mobutu Sese Seko prononçait un discours qui allait marquer un tournant : la fin du monopartisme du MPR et l’annonce de l’ouverture démocratique du Zaïre. Le tournant était si décisif que le vieux Marechal lâcha d’une voix vacillante et larmes aux yeux : « Comprenez mon émotion ». La guerre froide venait de prendre fin en 1989, déclenchant des injonctions à la démocratisation venues de l’Occident. Trente-cinq ans plus tard, le peuple congolais vote, mais est-il réellement souverain ? La République démocratique du Congo s’est-elle ancrée dans une gouvernance démocratique, ou bien reste-t-elle enfermée dans un cycle de simulacres électoraux et de crises prolongées ?
Une ouverture imposée par l’extérieur
L’acte d’ouverture au multipartisme n’était pas le fruit d’une dynamique interne, mais d’une nécessité stratégique. En effet, avec la chute du mur de Berlin, les régimes africains alliés de l’Occident n’étaient plus protégés par la logique de la guerre froide. Mobutu, fidèle à sa capacité d’adaptation, annonça un multipartisme dont il entendait bien garder le contrôle. La suite fut une transition avortée, minée par des divisions politiques, une Conférence nationale souveraine sans lendemain, et une paralysie institutionnelle qui a ouvert la voie au chaos.
Deux guerres mondiales continentales en une décennie et un accord de paix
De 1996 à 2002, la RDC traverse l’une des périodes les plus sombres de son histoire. Deux guerres successives, l’intervention de plusieurs puissances étrangères, des millions de morts, et un État qui s’effondre. La démocratie devient alors un luxe inaccessible.
En 2002, l’Accord Global et Inclusif de Sun City marque le retour d’un cadre politique partagé. Il ouvre la voie à une transition inclusive et à l’organisation d’élections en 2006. Un moment d’espoir pour une nation qui tentait de renaître de ses ruines.
Quatre cycles électoraux, quatre occasions manquées
En 2006, les premières élections démocratiques depuis l’indépendance sont organisées. La participation est massive, mais le scrutin est marqué par des tensions et des violences post-électorales. Vient le deuxième cycle électoral 2011 caractérisé par un processus décrié, des résultats contestés, et une légitimité entachée pour le président sortant. En 2018 le troisième cycle électoral introduit l’alternance pacifique – une première historique – mais sur fond de soupçons d’accords de coulisses entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi. Et en 2023, le quatrième cycle des élections est organisé dans un contexte de défiance, avec une logistique chaotique, une CENI controversée, et une opposition fragmentée.
Une démocratie sans effectivité
Sur le papier, la RDC est une démocratie : multipartisme, constitution, élections, presse relativement libre. Mais la pratique révèle un régime où les institutions sont instrumentalisées, la justice est souvent politisée, la redevabilité quasi inexistante, et la corruption omniprésente.
La démocratie reste confinée à ses formes procédurales. L’État est faible, l’administration politisée, et les contre-pouvoirs inopérants. Pendant ce temps, les citoyens assistent, impuissants, à une vie politique dominée par des alliances conjoncturelles, des calculs personnels et une absence totale de vision collective.
Et pendant ce temps, l’Est brûle
Alors que le pouvoir central célèbre les alternances et les processus électoraux, le pays reste en guerre dans sa partie orientale. Les récents événements – la prise de Goma et de Bukavu par des groupes armés – rappellent brutalement que l’État n’a jamais réellement exercé sa souveraineté sur tout son territoire.
Comment parler de démocratie quand des millions de citoyens vivent sous la menace permanente des armes, des déplacements forcés, des pillages et des massacres ? Comment évoquer la souveraineté populaire alors que les grandes villes de l’Est tombent les unes après les autres, dans un silence glacial des institutions ?
Trente-cinq ans après, la RDC reste une anocratie avec une démocratie en sursis
Le Congo n’est ni une dictature absolue, ni une démocratie consolidée. Malgré le qualificatif « démocratique » bien repris dans son appellation, la RDC est en réalité une anocratie, régime politique hybride, situé entre démocratie et autocratie, selon les experts en science politique. Le pays évolue dans un entre-deux fragile où le peuple vote mais n’est pas écouté, où l’alternance est possible mais conditionnée, et où la souveraineté nationale reste morcelée.
Le plus grand défi, aujourd’hui, est de transformer la démocratie en levier de sécurité, de justice et de développement. Il faut que le vote ait un sens. Il faut que l’État protège. Il faut que le pouvoir rende des comptes.
Trente-cinq ans après la Nsele, le peuple congolais n’a pas renoncé à son rêve démocratique. Mais il attend toujours qu’on le prenne au sérieux. Le Marechal n’avait pas très tort : 35 ans après, plusieurs congolais entonnent le refrain « comprenez mon émotion » quand il s’agit de parler de leur pays.