Le 23 avril 2025 restera peut-être dans les annales comme le jour où, à des milliers de kilomètres des collines meurtries du Nord-Kivu, un texte signé à Doha a fait vaciller l’équilibre précaire de la guerre à l’est de la République démocratique du Congo. Une déclaration conjointe entre le gouvernement congolais et le mouvement rebelle AFC/M23 a été paraphée dans la capitale qatarie sous l’œil attentif de médiateurs internationaux. Pourtant, les coulisses de cet accord racontent une toute autre histoire : celle d’un rapport de force diplomatique, d’un bras de fer feutré, et de l’ombre grandissante de Washington.
Une signature arrachée au bord de la rupture
Selon plusieurs sources, les négociations de Doha ont frôlé l’échec. Les représentants du M23, exigeant la libération de leurs prisonniers et accusant Kinshasa de mauvaise foi, auraient quitté la table des négociations. Le climat semblait alors plombé, sans perspective immédiate de reprise. Mais en diplomatie comme en guerre, les lignes bougent à l’arrière.
C’est dans cet interstice que le Qatar, médiateur officiel, a intensifié ses efforts. Un acteur inattendu entre alors en scène : Massad Boulos, conseiller principal de Donald Trump pour l’Afrique. De manière significative, c’est le ministre d’État du Qatar lui-même qui a sollicité une rencontre avec Boulos, conscient de l’influence grandissante de Washington sur la région. Ce dernier, bien introduit auprès des acteurs économiques et sécuritaires du continent, aurait alors usé de son influence pour obtenir un revirement de position du M23 et faire aboutir la déclaration conjointe.
Washington, entre minerais et stabilisation régionale
Ce développement s’inscrit dans une dynamique diplomatique plus large, amorcée plusieurs semaines auparavant. Le président Félix Tshisekedi, à la recherche d’un soutien décisif pour la stabilisation de l’Est, a proposé aux États-Unis un contrat stratégique : l’ouverture d’un large accès aux ressources minières congolaises ; notamment le cuivre, le cobalt et le lithium ; en échange d’un engagement américain ferme sur la sécurité. Washington a accepté d’entrer dans le jeu, mais à une condition : que la guerre prenne fin en premier lieu.
Dans ce cadre, les États-Unis ont pris une position inhabituelle de fermeté. Ils ont explicitement demandé au président rwandais Paul Kagame de retirer ses troupes du territoire congolais, conditionnant leur coopération sécuritaire et économique à ce geste. Cette ligne dure vis-à-vis de Kigali est inédite depuis la fin de la guerre froide, période durant laquelle les États-Unis soutenaient sans réserve le régime rwandais comme bastion anti-français dans la région.
L’envoi de Massad Boulos, accompagné de la diplomate Corina Sanders, marque un tournant : les États-Unis veulent à la fois reprendre la main sur le dossier congolais et contenir les ambitions régionales du Rwanda, tout en sécurisant leur accès à des minerais critiques pour l’industrie technologique. La paix, dans cette configuration, devient une condition préalable à l’économie.
Une paix encore fragile
Si la déclaration commune de Doha marque une avancée indéniable, elle ne constitue en rien un accord de paix. Les défis à venir sont immenses : désarmement, démobilisation, retour des déplacés, justice transitionnelle. Et surtout, la confiance. Le passé a montré que les engagements du M23, comme ceux de Kinshasa, sont souvent à géométrie variable.
La prudence est donc de mise. Mais pour la première fois depuis longtemps, un front diplomatique international semble se structurer autour de la crise congolaise. Et la guerre de l’Est, trop souvent reléguée au rang de conflit local et tribal, redevient un dossier stratégique majeur. Entre intérêts miniers, équilibres militaires et ambitions globales, la RDC est peut-être à l’aube d’une reconfiguration profonde de ses alliances et de son avenir.