Un vent lourd souffle sur les hauteurs du Palais du Peuple. Ce jeudi, les rideaux se lèveront sur une session sénatoriale à la portée historique : les membres de la Chambre haute du Parlement congolais sont appelés à examiner le réquisitoire visant Joseph Kabila, sénateur à vie et ancien président de la République.
Dans les couloirs feutrés du Sénat, l’ambiance est électrique, presque irréelle. Jamais la figure tutélaire de celui qui a dirigé la RDC pendant 18 ans n’avait été aussi frontalement remise en cause par les institutions républicaines. Au cœur de l’accusation : son implication présumée dans la rébellion de l’AFC/M23, un conflit armé qui ensanglante l’Est du pays et mine la stabilité régionale.
C’est le président en exercice, Félix Tshisekedi, qui a brisé le tabou, en accusant publiquement son prédécesseur de tirer les ficelles dans l’ombre. Une déclaration qui a fait l’effet d’un séisme dans les cercles politiques de Kinshasa, et au-delà. Car Joseph Kabila, s’il s’est fait discret ces dernières années, reste une figure redoutée, presque mythique, dont le silence en disait souvent plus que les discours.
Pour les partisans de la transparence et de la justice, la session de ce jeudi représente une avancée majeure : « C’est un test de maturité démocratique », confie un sénateur sous couvert d’anonymat. « Le temps de l’impunité des anciens chefs d’État pourrait toucher à sa fin. »
Mais d’autres crient à la manœuvre politique. Ils dénoncent une instrumentalisation des institutions à des fins électoralistes ou de règlement de comptes personnels. « On veut faire de Kabila le bouc émissaire de tous les maux du pays », déplore un fidèle du Front Commun pour le Congo, resté loyal à l’ancien président.
En toile de fond, l’Est du pays continue de s’embraser. Les témoignages de déplacés, les rapports d’ONG, les alertes de l’ONU évoquent des massacres, des viols, des exactions dont les auteurs, parfois flous, se réclament d’une rébellion longtemps considérée comme vaincue.
Alors que les sénateurs s’apprêtent à trancher sur la recevabilité du réquisitoire, c’est bien plus qu’un homme qui est en jeu. C’est un pan entier de l’histoire récente du Congo. Un procès de l’ombre pourrait bientôt devenir une affaire d’État au grand jour. Le pays retient son souffle.

