Dans une annonce officielle ce matin, la MONUSCO a confirmé l’arrivée imminente de sa cheffe, Bintou Keita, à Goma, capitale du Nord-Kivu, désormais sous contrôle du M23 depuis janvier 2025. Une visite inédite dans une ville occupée, mais aussi en pleine recomposition politique, alors que Joseph Kabila y a établi son quartier général, multipliant les apparitions publiques et les consultations de la société civile.
Une ville fermée, sous contrôle rebelle
Depuis six mois, Goma vit sous administration parallèle du M23. L’État congolais y a perdu toute autorité, l’armée s’est repliée hors de la ville, et l’aéroport international est fermé, rendant tout déplacement aérien impossible. Entrer à Goma, c’est désormais pénétrer un territoire sous influence rebelle, où les règles du jeu ont été redéfinies.
Dans ce contexte, la venue de Bintou Keita représente un geste diplomatique majeur, qui pourrait viser à rouvrir des canaux humanitaires, prendre le pouls politique local, ou encore préparer une médiation plus large.
Une crise humanitaire hors de contrôle
Plus de 500 000 déplacés internes se massent dans les zones périphériques, sans accès adéquat à l’eau, à la nourriture ou aux soins. Les ONG tirent la sonnette d’alarme : sans ouverture humanitaire, une catastrophe sanitaire se profile. La MONUSCO, affaiblie politiquement, tente de jouer son rôle de bouclier humanitaire. La présence de sa cheffe sur le terrain pourrait viser à négocier un couloir sécurisé, bien que l’autorité effective appartienne aujourd’hui au M23.
Joseph Kabila, de retour au premier plan
Mais Goma n’est pas seulement le théâtre d’une crise sécuritaire. C’est aussi devenu le centre nerveux d’un retour politique inattendu : celui de Joseph Kabila, ancien président de la République, retiré depuis 2019. Depuis plusieurs semaines, il y tient des consultations publiques, filmées, photographiées, partagées sur les réseaux, avec les forces vives de la province : jeunes, chefs coutumiers, notables, officiers retraités, femmes leaders.
Plus encore, il a officiellement dévoilé un plan de sortie de crise en 12 points, lors d’un discours public de 45 minutes, prononcé devant caméras et micros. Un document qui se résume à son envie de « mettre fin à la dictature et à la tyrannie », donc de chasser Félix Tshisekedi du pouvoir. Sans mandat officiel, mais avec un capital politique intact dans une partie du pays, Kabila joue désormais le rôle d’un Chef de l’État dans un vide créé par le M23.
Rencontre en perspective ?
Dans ce contexte, une rencontre entre Bintou Keita et Joseph Kabila apparaît de moins en moins improbable. Les deux figures, bien qu’agissant dans des sphères différentes, pourraient partager une analyse commune de l’impasse actuelle. Cependant, estampillé à Kinshasa « Commandant en Chef du M23 », une telle rencontre ne manquerait pas d’énerver l’exécutif congolais.
Une diplomatie de terrain, entre tensions et incertitudes
Bintou Keita se rend donc dans la ville la plus sensible du pays, à la fois symbole de l’invasion étrangère, laboratoire politique alternatif, bastion rebelle, et plaque tournante de la recomposition régionale. Sa visite est un test pour la diplomatie onusienne : saura-t-elle encore jouer un rôle actif dans une où elle a impuissamment assisté à l’ascension du M23 jusqu’à occuper le trône ?
Goma n’est plus seulement une ville à libérer. C’est devenu un centre de pouvoir alternatif, un espace de réalignement politique, et un miroir des fractures profondes de la RDC contemporaine.