À Kinshasa et dans plusieurs villes de République démocratique du Congo, de nombreuses personnes sont restées chez elles hier, plutôt que d’aller au travail ou en classe. Les boutiques et les marchés sont restés fermés ou ont ouvert tardivement, et les rues étaient en général peu fréquentées.

Cette manifestation silencieuse a fait suite à un mot d’ordre de l’opposition appelant à une opération « villes mortes » afin de protester contre l’échec de la mise en œuvre de l’Accord du 31 décembre, un compromis incluant un partage du pouvoir conclu grâce à la médiation de l’Église catholique et qui a permis de désamorcer une situation explosive à la fin de l’année dernière. Cet accord permet au président Joseph Kabila de se maintenir au pouvoir au-delà de la limite de deux mandats consécutifs imposée par la constitution, limite qui a été atteinte le 19 décembre 2016, jusqu’à la tenue d’élections avant la fin de 2017.

​L’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) tient une conférence de presse à Kinshasa, capitale de la RD Congo, le 28 mars 2017.

La Conférence épiscopale nationale du Congo, la CENCO, a annoncé le 27 mars qu’elle renonçait à son rôle de médiatrice, en raison de l’impasse dans laquelle se trouve la mise en œuvre de l’accord. La coalition majoritaire au pouvoir a refusé d’accepter le choix de l’opposition de proposer Félix Tshisekedi comme Premier ministre, insistant pour que le Rassemblement, la coalition de partis d’opposition partenaire de l’accord, soumette au moins trois noms, parmi lesquels le président Kabila nommera un Premier ministre. La majorité a également rejeté la désignation par le Rassemblement de Pierre Lumbi pour succéder à Étienne Tshisekedi, récemment décédé, comme président du Conseil des Sages du Rassemblement, ce qui devrait automatiquement faire de lui le président du Conseil national de suivi de l’accord (CNSA).

En annonçant qu’ils se retiraient, les évêques catholiques ont appelé Kabila à prendre ses responsabilités et à s’engager personnellement pour assurer une mise en application rapide de l’accord. Ils ont également appelé la communauté internationale à y apporter un appui plus vigoureux, et le peuple congolais à rester « vigilant. »

Le lendemain, 28 mars, la tension était vive à Kinshasa et dans plusieurs autres villes, où des groupes de manifestants se sont répandus dans les rues, incendiant des pneus ou scandant des slogans contre le gouvernement Kabila, en signe de protestation contre l’échec de l’accord et pour appeler Kabila à abandonner le pouvoir.

À la fin de la journée, Jean-Marc Kabund, secrétaire général du principal parti d’opposition, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), a déclaré devant une foule importante rassemblée à Kinshasa que le pays était « dans l’impasse » et a appelé à « des actions de résistance pacifique », notamment à une manifestation nationale le 10 avril pour protester contre l’échec dans la mise en œuvre de l’accord. Après que des manifestants eurent appelé à une action plus immédiate, la police est arrivée et a tiré des cartouches de gaz lacrymogène pour disperser la foule.

Le 29 mars, le Rassemblement, auquel appartient l’UDPS, a publié une déclaration dans laquelle il considère que l’accord est « rompu. » Il a exhorté tous les Congolais à respecter l’opération ville morte d’hier, à soutenir un mouvement de « grève générale » le 5 avril et à participer aux défilés du 10 avril, ainsi qu’à des manifestations ultérieures afin d’exiger la mise en application de l’Accord de la Saint-Sylvestre.

Kabila aurait affirmé aux évêques, lors d’une rencontre le 28 mars, qu’il s’impliquerait personnellement dans la recherche d’une solution à cette impasse politique. La présidence a annoncé que Kabila rencontrerait les partis concernés cette semaine, mais le Rassemblement a d’ores et déjà déclaré qu’il n’y participerait pas. Kabila devrait s’adresser au parlement dans les jours qui viennent.

Ces manœuvres politiques se sont déroulées dans un contexte d’indignation publique croissante concernant les violences commises dans la région du Kasaï, dans le centre de la RD Congo, où le bilan des victimes ne cesse d’augmenter. La mort toujours inexpliquée de deux experts de l’ONU, Michael Sharp et Zaida Catalán, dont les corps ont été découverts la semaine dernière, la disparition jusqu’à ce jour de leurs quatre collègues congolais, et de nouvelles informations selon lesquelles des militaires auraient exécuté sommairement des jeunes en effectuant des opérations de recherche au porte-à-porte dans la ville de Kananga, soulignent la nécessité d’une enquête internationale et indépendante sur les violences commises dans cette région.

Les partenaires internationaux de la RD Congo devraient agir vigoureusement – y compris par de nouvelles sanctions ciblées de la part de l’ONU, de l’Union européenne et des États-Unis – et accroître la pression sur Kabila et son gouvernement. De nombreux Congolais sont en train de perdre tout espoir que l’Accord de la Saint-Sylvestre puisse être sauvegardé et qu’une transition démocratique pacifique puisse avoir lieu.