La nouvelle équipe gouvernementale a été annoncée la nuit du 23 au 24 mars à la télévision nationale par Tina Salama, la porte-parole du Président Félix Tshisekedi. Pour raison « d’urgence et de nécessité », n’a manqué d’ajouter madame Salama. Mais est-ce bien le cas ? Analysons.
La faiseur des rois Vital Kamerhe et l’électorat du Grand Kivu, mais la relance de l’économie restera difficile
La composition de l’exécutif Sama Lukonde II passe de 57 à 58 membres, avec la création d’une Vice-Primature à l’économie confiée à Vital Kamerhe, qui signe ainsi son retour sur la scène politique. L’on se rappellera qu’en 2020, le tout-puissant ancien directeur de cabinet du Tshisekedi avait été écroué à Makala pour 20 ans de prison et travaux forcés pour détournement des millions de dollars dans l’affaire dite de 100 jours.
Il sera relaxé en 2022 après l’aboutissement d’un procès en appel. On se rappellera aussi du rôle de « faiseur des rois » joué par Kamerhe pas seulement aux côtés de Joseph Kabila en 2006 mais aussi de Tshisekedi en 2018 en ralliant pour chacun de ces candidats présidents l’électorat du Grand Kivu. L’ancien Speaker de l’assemblée nationale pourrait se voir à nouveau dans le rôle de faiseur des rois, comme l’a démontré sa récente tournée dans le Grand Kivu pour tester sa popularité.
Kamerhe se voit confiée la charge de l’économie congolaise dans une contexte d’inflation galopante et de crise internationale induite par la guerre en Ukraine. Bien qu’économiste de formation, il n’a jamais eu à occuper ce poste dans sa carrière politique. A neuf mois de la fin officielle du mandat de Tshisekedi, il sera difficile à Vital de produire des effets palpables dans l’économie congolaise nécessitant plusieurs réformes structurelles.
Jean-Pierre Bemba aux commandes de la défense nationale : un homme de guerre face au M23 et l’électorat du Grand Équateur
A la Vice-Primature de la défense, exit le général Kabanda qui laisse cet influent strapontin à un autre poids lourd de la politique congolaise ; en l’occurrence Jean-Pierre Bemba. Pourquoi à la défense ? Peut-être un signal fort à l’adresse de Kagame qui s’est autoproclamé « Docteur ès Guerre » de la sous-région des grands lacs lors d’une récente sortie médiatique. En effet, Bemba est connu pour son passé de guerre à la tête du Mouvement pour la Libération du Congo, un mouvement politico-militaire qui a mué en parti politique. Ce passé lui coûtera 10 ans d’emprisonnement dans les geôles de la Cour Pénale Internationale avant sa libération en 2018.
Mais avant ce passage à la CPI, l’ex-chef rebelle eu à occuper le poste de Vice-Président en charge de l’économie dans la configuration politique issue de l’Accord Global et Inclusif de Sun City. Bien que sa popularité ait décliné au fil de temps dans son fief naturel du Grand Équateur, Bemba reste considéré comme le leader incontestable de cette partie du pays et un héritier politique direct du Marechal Mobutu. Le ralliement de l’électorat du Grand Équateur à la réélection de Tshisekedi serait l’autre raison du recours à celui qui contesta militairement l’élection de Kabila en 2007.
Mbusa Nyamwisi : coopération régionale à nouveau entre les mains d’un « connaisseur de la région »
Quant à l’entrée d’Antipas Mbusa Nyamwisi au gouvernement, cet ex-chef rebelle du Rassemblement Congolais pour la Démocratie-Kisangani Mouvement de Libération (RCD/KML) reprend les rênes du Ministère de la Coopération Régionale, un portefeuille qu’il a eu à occuper pendant la transition politique de 2002. Il connaît donc les acteurs de la sous-région pour en avoir côtoyé plusieurs qui sont toujours présents aux affaires, notamment Kagame et Museveni.
Mbusa par ailleurs est originaire de Nord Kivu où est situé la ville-martyr de Beni, qui subit les affres des ADF-NALU. Tout un message à la population de Beni qui jusqu’à ce jour réclame à Tshisekedi la restauration de la paix et de la sécurité dans cette partie du pays.
En conclusion, un remaniement essentiellement politique dans une année électorale
A neuf mois du scrutin présidentiel, Tshisekedi qui a été porté au pouvoir grâce à une coalition politique, comprend pertinemment bien qu’il est impossible pour lui de rempiler 2022 en ne comptant que sur sa base de l’UDPS. Le choix de nouvelles têtes dans l’exécutif Sama Lukonde II constitue un calcul politique.
En reconduisant le Premier Ministre Sama, Tshisekedi veut s’assurer d’engranger une part de l’électorat du Grand Katanga dont est issu le Premier Ministre. Cet électorat est difficile à Tshisekedi en raison de l’opposition de Moïse Katumbi.
Bemba et Vital permettront à l’actuel président d’élargir sa base dans le Grand Équateur et dans le Grand Kivu, respectivement. Le Grand Kasaï est la base naturelle de l’UDPS. Ce calcul politique au départ électoral, peut aussi servir à faire accepter un glissement facilement.
Enfin, ce calcul permet malignement à Tshisekedi de se débarrasser de Bemba et Kamerhe comme deux potentiels challengers de taille au scrutin présidentiel.