La presse vient en appui aux services étatiques congolais et onusiens dans la quête de la vérité sur le meurtre de Michael Sharp et Zaidan Catalan intervenu le 12 mars 2017 non loin de Bunkonde dans la province du Kasaï Central. L’enquête de RFI et Reuters établit des corrélations entre l’ANR, la DGM et l’armée congolaise qui auraient planifié ce double assassinat.
Grâce à l’analyse des relevés téléphoniques des appels émis et reçus par les deux experts avant leur assassinat et contenus dans un flash disc de plus de 10 Gigas fourni par les réseaux de téléphonies mobiles Vodacom et Airtel, mais aussi aux interviews réalisées avec certains numéros contenu dans ces relevés, Reuters et RFI démontre que les éléments de l’Agence Nationale de Renseignements (ANR), ceux de la Direction Générale des Migrations (DGM),et les hauts gradés des FARDC « ont participé à l’organisation de la mission qui a couté la vie à deux experts de l’ONU le 12 mars 2017. »
Dans leur mission en RDC, Zaida Catalan et Michaël Sharp devait se rendre à Bunkonde, rappelle l’enquête. Ils ont préparé ce déplacement entre autre avec José Tshibuabua qui pour eux est un médiateur entre les autorités congolaises et la famille Kamuina Nsapu. En réalité, José Tshibuabua est un agent de l’ANR, un informateur qui se présente comme tel sur son profil facebook, révèle l’enquête. Le patron de l’ANR Kalev Mutond le reconnait au sein du service qu’il dirige comme « informateur bénévole ».
José Tshibuabua est le cousin de l’interprète Bétu Tshintela. Dans un CV du 13 décembre 2012, l' »interpète » Bétu Tshintela se présente comme un agent de l’ANR et enseignant. Conséquence, lors de l’entretien (enregistré par Zaida Catalan) avec le féticheur des Kamuina Nsapu à la veille du déplacement, le féticheur interdit aux experts de se rendre dans la zone de Bunkonde qu’il juge dangereuse et sur laquelle il n’a pas le contrôle. Mais José Tshibuabua et Betu Tshintela dans leur interprétation mentent aux experts que le féticheur leur donne sa bénédiction pour le déplacement, appuie l’enquête en se référant à une copie de cet entretien leur parvenu grâce à l’ONU.
Seul l’interpète Betu Tshintela a effectué le déplacement à Bukonde avec les experts le 12 mars 2017. José Tshibuabua est resté. Il communique au moins avec Betu Tshintela à 12h06 le jour du meurtre. Le lendemain du meurtre, Betu Tshintela considéré aussi comme mort avec les experts de l’ONU appelle le colonel FARDC Cris Tambwe lundi 13 mars à 18h06. Contacté par les enquêteurs, il se présente « comme commandant bataillon à Kisangani. »
Dans les relevés téléphoniques, selon l’enquête, figure aussi le numéro du colonel Mambweni. Sur son profil facebook, c’est un « chargé des relations civilo-militaires, rattaché à l’état-major. » Pour l’avocat des présumés miliciens Kamuina Nsapu, Me Miseka, le colonel Mambweni « était le chef des opérations à Kananga, c’est lui qui a organisé l’infiltration des Kamuina Nsapu par l’armée. »
En fait, le colonel Mambweni était en contact avec les experts onusiens durant leur séjour à Kananga. Le 9 mars 2017, Zaida Catalan l’appelle. Après l’appel, le colonel Mambweni envoie des messages aux directeurs de l’ANR et de la DGM puis rappelle Zaida Catalan. Les relevés téléphoniques indiquent aussi que le 10 mars, le colonel Mambweni appelle l’interprète Betu Tshintela, poursuit l’enquête. Ce n’est qu’après que Zaida Catalan appelle Betu Tshintela. « C’est Mambweni qui a mis Betu Tshintela en rapport avec les experts, » selon une source militaire citée dans l’enquête. Interrogé par RFI et Reuters, le colonel Mambweni reconnait avoir été en contact avec les experts onusiens mais en janvier, pas en mars.
Le jour du meurtre, Michaël Sharp et Betu Tshintela échangent dès 6h43 et s’appellent toute la matinée. Dans l’entre-temps, Betu Tshintela appelle son cousin José Tshibuabua qui leur fourni même des motos-taxis, selon l’ANR. José Tshibuabua est l’informateur du directeur provincial de la DGM et celui de l’ANR. Plus tard, il sera recruté officiellement comme « inspecteur adjoint à la Direction générale des migrations. »
Pour les enquêteurs, Zaida Catalan et Michaël Sharp sont tombés dans un réseau : ANR, DGM et armée qui en planifiant leur voyage d’enquête, planifiait en réalité leur voyage pour l’éternité.