Dans une interview-fleuve accordée en anglais par le président Kabila au journal berlinois Der Spiegel le 16 mai 2017 et publiée par le tabloïd allemand le 3 juin 2017, le Chef de l’Etat aborde plusieurs questions de l’heure: son bilan après 16 ans de règne, référendum pour un troisième mandat, l’opposant Moïse Katumbi, les sanctions de l’Union Européenne et des Etats-Unis contre ses proches, le processus électoral…L’opinion nationale se fait désormais une opinion une idée un peu plus précise de ce que cachait le silence du président. 

La longue interview à été accordée au média allemand par un Kabila déterminée à fixer l’opinion publique sur les questions qui suscitent moult questions et suspicions. Le président a laissé planer le doute sur l’éventualité de l’organisation d’un référendum. En effet, pressé par les confrères du Spiegel de dire s’il allait prolonger son bail à la tête du pays en modifiant la constitution, Kabila a rassuré qu’il n’en avait pas l’intention. Il a toutefois souligné que l’amendement de la constitution était un processus constitutionnel.

Quant à la date exacte de la tenue des élections, élections qui sont censées s’organiser d’ici fin 2017, Kabila a semblé incertain quant à cette échéance, mettant l’accent sur des élections parfaites, même si elles tardives.

Relativement à l’opposant Katumbi, Kabila renvoie le dossier à la justice et refuse de voir en celui-ci une menace à son pouvoir.

Par rapport à son avenir politique après la présidence, le président a adroitement éludé la question en disant simplement qu’il lui appartenait d’en juger. Il a néanmoins promis de rester au service de son pays et de ne passer le flambeau qu’à un successeur élu.

Ci-dessous l’intégralité de l’interview traduite par la rédaction de KINSHASATIMES.CD

SPIEGEL: Monsieur le Président pourquoi vos interventions publiques sont si rares?

Kabila: Je crois que les actions importent plus que les paroles. Je suis un homme d’actions.

SPIEGEL: Cela fait 16 ans que vous êtes au pouvoir.  Quelles ont été vos réalisations depuis que vous êtes à la tête du pays?

Kabila: En janvier 2001 lorsque j’ai prêté serment, le pays était divisé –nous avions la guerre à l’Est, une ligne de front de 3.000 kilomètres, et quatre armées différentes déployées à travers la RDC. Notre économie était quasi non-existante.  Nos infrastructures se trouvaient dans un piteux état.  Nous avions une situation de non-droit.  Quelle est la situation aujourd’hui?  Nous avons un pays unifié.  Nous avons une monnaie unique.  Nous avons pu stabiliser l’économie, en dépit de difficultés.  Vous savez, nous pourrions y passer  la journée à parler de ces réalisations.

SPIEGEL: Mais de l’extérieur, la situation de votre pays est perçue très différemment.  L’une des plus grandes déceptions de l’Europe et de l’Occident c’est le report des élections démocratiques au-delà de l’échéance du 19 décembre de l’année dernière.  Par ailleurs vous n’avez pas quitté le pouvoir.

Kabila: Cette déception est une déception que je ressens moi-même.  En effet, en 2011, le même Occident voulait que nous reportions les élections.  Cependant, nous avions insisté que ces élection devaient se tenir selon le calendrier arrêté.

SPIEGEL: Alors pourquoi était-il possible d’organiser les élections dans le contexte difficile d’alors, et cela n’est pas possible aujourd’hui?

Kabila: C’est premièrement parce que nous ne nous y étions pas bien préparés.  En 2011, nous avions 32 million d’électeurs enrôlés comparés aux 42 à 45 millions d’électeurs qu’il nous faut enrôler cette fois-ci.  La deuxième raison et la plus importante: Après 2011, le groupe rebelle M23 à l’Est du pays avait lancé une guerre.  Il nous fallait consacrer toutes nos ressources à l’effort de guerre,  à la disposition des nos forces armées.  Par conséquent, pendant la guerre les élections ne constituait pas une priorité.  Il n’était pas question de financer des élections alors que nous devions mener la guerre pour récupérer le territoire occupé.  Il s’agissait là de deux principales raisons pour lesquelles les élections n’ont pas été organisées à la fin de l’année dernière.  Vous savez, les élections peuvent être organisées à tout moment, même demain.  Mais quel sera le résultat des élections chaotiques?  Davantage de chaos!

SPIEGEL: Mais le non-respect de l’échéance électorale avait provoqué des émeutes sanglantes.  Suite à ces émeutes, la Conférence Épiscopale Nationale du Congo (CENCO) avait négocié un accord entre le gouvernement et l’opposition, y compris votre promesse d’organiser les élections à la fin de cette année.

Kabila: Je n’ai rien promis! Je voudrais que les élections aient lieu le plus tôt possible.  Mais nous voulons des élections parfaites, non pas juste des élections vaille que vaille.  Et il revient à la Commission Électorale d’organiser les élections dans ce pays –chose que beaucoup oublient.  Nous avons une commission indépendante qui, selon notre constitution, a le mandat d’organiser les élections.  Cette commission est déjà à pied d’œuvre pour cette tâche et les résultats sont positifs.  Nous allons bientôt atteindre la barre de 24 million d’électeurs enrôlés.  Ça avance.

SPIEGEL:  L’on pourrait avoir l’impression qu’il n’existe aucune volonté politique sincère d’organiser ces élections.  Certains vous soupçonnent de vouloir amender la constitution qui limite  les mandats présidentiels à deux  quinquennats.  Est-ce votre intention d’amender la constitution?

Kabila:  A quel moment ai-je parlé de changer cette disposition?  Personne à ce jour ne peut produire une affirmation orale ou écrite de ma part à propos de l’amendement de la constitution.

SPIEGEL: Mais cette interview est une parfaite opportunité pour tirer tout ça au clair.

Kabila: Je l’avais déjà clarifié.  Toute cette rumeur sur l’amendement de la constitution n’est que pur non-sens.

SPIEGEL: Et pourtant, la suspicion persiste que vous allez emboîter les pas aux présidents du Burundi, Rwanda, Ouganda et du Congo et amender la constitution afin de prolonger votre bail à la tête du pays.

Kabila: Si vous tenez à parler des pays qui ont amendé leurs constitutions, et bien parlons des pays européens.  L’idée selon laquelle c’est seulement l’Afrique qui présente une propension à amender les constitutions est biaisée et non correcte.  Amender une constitution est constitutionnel.  Dans la constitution on trouve le mot « référendum ».  Vous pouvez amender la constitution par voie de référendum.  Mais nous n’avons pas encore convoqué un référendum.  A ce jour, nous n’avons pas encore tenu de réunion ni de discussion sur la manière de procéder à l’amendement de la constitution.

SPIEGEL: La constitution congolaise permet-elle de l’une ou l’autre manière une interprétation qui rende possible un troisième mandat?

Kabila: Notre constitution en est une de très claire. Cette interprétation ne se trouve pas dans la constitution.

SPIEGEL: Donc il n’y aura pas de troisième mandat pour le Président Joseph Kabila?

Kabila: Cela dépend du sens donné à un troisième mandat.  Nous n’avons pas l’intention de violer la constitution. En effet, comment briguer un troisième mandat sans violer la constitution?

SPIEGEL: Peut-être entrevoyez-vous la possibilité d’interpréter la constitution d’une certaine manière.

Kabila: Ni vous ni moi ne pouvons interpréter la constitution. Seule la cour constitutionnelle peut interpréter la constitution.

SPIEGEL: Votre réponse est donc un « non » clair?

Kabila: Un « non » clair à propos de quoi?

SPIEGEL: A propos d’un troisième mandat à votre présidence.

Kabila: Je ne voudrais pas parler d’un troisième mandat, car la constitution n’en fait aucunement mention.  Il s’agit d’une invention de certains esprits illuminés quelque part en Europe ou ailleurs.

SPIEGEL: Justement, ces esprits illuminés se demandent pourquoi le président de la RDC n’a pas quitté le pouvoir à la fin de son deuxième mandat.  On vous aurait célébré comme le père de la démocratie  congolaise, un modèle pour l’Afrique.  Qu’est-ce qui rend si difficile le départ du pouvoir,  Monsieur le Président?

Kabila: Vous débarquez de vos bureaux climatisés à Berlin et Cape Town, et j’espère que vous prendrez le temps de comprendre le Congo et ses difficultés.  De toutes façons, le père de la démocratie congolaise c’est Patrice Lumumba, le tout premier Premier Ministre après notre indépendance, qui fut assassiné dans des conditions encore non-élucidées à ce jour.  Donc en ce qui me concerne, ce titre ne constitue pas la chose la plus importante pour moi.  L’histoire peut se rappeler de vous comme le père de la démocratie, mais elle peut tout aussi se rappeler de vous comme celui par lequel est arrivé le chaos simplement pour avoir quitté le pouvoir.  La constitution est très claire quant à la manière et au moment auquel le président doit céder le pouvoir.  Il ne peut le faire qu’à un successeur élu.

SPIEGEL: Ce qui veut dire que vous devez organiser les élections promptement.

Kabila: Et c’est la raison pour laquelle nous travaillons 24 heures sur 24 afin d’organiser ces élections.

SPIEGEL: Les pays du bloc G-20 préparent une initiative africaine d’envergure, et l’Allemagne est même en train de promouvoir une sorte de Plan Marshall pour le continent.  Mais en contrepartie, ces pays exigent de la bonne gouvernance, des réformes politiques et des élections démocratiques.  Ces pays sont particulièrement préoccupés par votre pays, parce qu’il n’existe actuellement plus aucune institution légitime.  Ni le président ni le parlement ne sont plus légitimes à ce stade.

Kabila: Il n’appartient pas à l’Occident ni à un quelconque érudit de décider si oui ou non nos institutions sont légitimes.  Cette responsabilité incombe à notre cour constitutionnelle.  Et deuxièmement, quant au Plan Marshall ou que sais-je encore, je n’y crois pas.  Les africains ont été nourris à ce narratif depuis cinquante ans.  L’Occident veut maintenant sauver l’Afrique après l’avoir exploitée.  Cette hypocrisie n’a fait que trop duré.  L’Afrique ne peut être sauvée que par les africains.  Pourquoi c’est seulement maintenant que l’on évoque un Plan Marshall?  C’est à cause de l’afflux actuel des immigrants vers l’Europe.  Et lorsque l’Europe se sent en danger, elle doit agir afin de garder ces africains chez eux en Afrique.  Mais est-ce que cela se fait de bonne foi?  Non, pas du tout.  Donc pour moi, c’est de la pure hypocrisie.

SPIEGEL: Entretemps, l’Allemagne alloue 256 million d’euros chaque année au titre d’aide à la RDC.  Il s’agit là de l’autre raison pour laquelle existe cette grande déception de la part du gouvernement allemand, et il ne sait pas vraiment s’il peut trouver en vous un partenaire.

Kabila: Eh bien, c’est réciproque.  Il y a manque de confiance en nous, et il y a aussi manque de confiance de notre part envers eux.

SPIEGEL: Les investisseurs considèrent la corruption comme un problème majeur ici. Plusieurs millions de dollars disparaissent des institutions de l’état.

Kabila: En effet, nous avons un problème de corruption, à l’instar de tout autre pays du monde.  Nous en sommes conscients et nous prenons les mesures, il s’agit d’une lutte qui prend du temps.

SPIEGEL: Votre ancien Ministre de la Fonction Publique a découvert que sur les 1.2 million de fonctionnaires immatriculés, plus de la moitié étaient fictifs.  Mais les salaires de ces fictifs continuent néanmoins à être payés et l’argent semble disparaitre.

Kabila:  Et comment le Ministre l’a-t-il découvert?  C’est justement parce que nous avions lancé un programme de transparence.

SPIEGEL:  Le Ministre voulait réorganiser le secteur de la fonction publique, mais après un désaccord avec le gouvernement, vous vous êtes séparés et il est passé à l’opposition.

Kabila:  Ce n’était pas la raison de son départ.  Il a quitté parce que son parti voulait passer à l’opposition, ce qui est un phénomène fréquent ici.

SPIEGEL:  Le Ministre vous a adressé une correspondance rejetant l’amendement de la constitution et un troisième mandat pour le Président Kabila.

Kabila:  Je vous ai expliqué cette affaire.

SPIEGEL:   Il en existe d’autres, comme des respecté gouverneurs, notamment Moïse Katumbi.  Il fait du bon travail dans la province du Katanga au sud du pays.  Il avait essayé de travailler avec vous, mais il a tourné casaque contre vous en 2015.

Kabila:  Je ne voudrais pas me laisser amener à parler des individus.  L’une des raisons pour lesquelles un certain nombre d’individus se sont décidés de passer à l’opposition était les réformes que nous avions entreprises.  Le Katanga par exemple est plus grand que l’Allemagne.  Il nous fallait découper cette province, ce qui est constitutionnelle –et il nous fallait respecter la loi.

SPIEGEL: Monsieur Katumbi avait été condamné à trois de prison pour allégations de fraude et a dû fuir le pays.  La CENCO a qualifié son procès d’une farce ayant pour seul objectif de se débarrasser un d’un rival politique.  Vrai ou faux?

Kabila: Eh bien, il ne m’appartient pas de dire si c’est vrai ou faux.  Il appartient à la justice de le dire.  Le fait d’être un évêque catholique ne fait pas de vous un saint.  Je n’ai pas demandé aux évêques de se substituer au système judiciaire de ce pays.  Il existe un procès opposant le gouvernement à Monsieur Katumbi, en tant qu’un individu.  Il doit traiter avec le système judiciaire du pays.

SPIEGEL: Monsieur Katumbi s’est résolu de rentrer bientôt.  Est-ce le pire de vos cauchemars?

Kabila: Je n’ai pas de cauchemars.

SPIEGEL: Monsieur Katumbi pourrait en appeler aux congolais d’organiser des protestations de masse.  Il est possible que des millions de personnes aillent l’accueillir.

Kabila: Alors, et puis quoi?  Si vous pensez qu’un individu est au-dessus de la loi parce qu’il a 1 ou 2 millions de personnes qui le suivent, nous n’aurions pas d’état de droit.

SPIEGEL: Monsieur Katumbi est perçu comme le nouveau porteur d’espoir, même en Occident.  Des médias influents parlent positivement de lui.  Quelle est votre stratégie pour contrer ce défi?

Kabila: Il n y a aucun défi à contrer et je n’ai donc pas besoin de stratégie.  Le peuple congolais décidera de l’avenir de ce pays.  Nous parlons de démocratie.  La démocratie fut assassinée lorsque Patrice Lumumba fut assassiné.  Et qui a ramené la démocratie dans ce pays?  Nous sommes ceux qui l’ont ramenée au pays après avoir bouté dehors la dictature en 1997.  Et voilà le Congo redevenu la cible de toutes les critiques.  Congo ceci, Congo cela, Congo et les droits de l’homme. Mais nous n’agissons pas en fonction de ce que l’Occident pense.

SPIEGEL: L’Union Européenne et les États Unis ont déjà imposé des sanctions financières contre certains des hauts cadres de votre gouvernement, notamment le chef des services de renseignement.  Les diplomates occidentaux envisageraient même l’éventualité d’imposer des sanctions contre vous.  Est-ce une chose qu’il vous est permis de complètement ignorer?

Kabila: J’ai toujours essayé de vivre ma vie comme une personne juste et humble.  Lorsque ces sanctions ont été annoncées, l’Europe aurait dû consulter les personnes qui ont été sanctionnées afin de trouver la vérité.  Ce qui n’a pas été le cas.  Comment l’Europe peut-elle agir en toute équité? Fonde-t-elle ses décisions sur les on-dits?

SPIEGEL: Elle les fonde sur des évaluations basées sur des recherches effectuées par ses officiels.

Kabila: Je vous en prie, je vous en prie….sur vos officiels occidentaux! Je suis totalement contre le néo-colonialisme et ces actions ne font que le perpétuer.

SPIEGEL: Vous affirmez donc que ces évaluations sont infondées?

Kabila:  Ce que je dis c’est que:  La bonne chose à faire aurait été de partager ces évaluations avec nous et les personnes concernées.  Mais ces sanctions ne nous empêcheront pas d’organiser les élections.  Et ces pressions ne constituent pas le type de pression qui nous contraindrait à autre chose.

SPIEGEL: Votre père était assassiné par l’un de ses gardes du corps qui faisait partie de son cercle des personnes de confiance.  En qui avez-vous confiance?

Kabila: Je crois que Dieu existe et je lui fais confiance.  Je fais confiance au jugement du peuple congolais et nous sommes en train de progresser dans la bonne direction.

SPIEGEL: Nous attendons des personnes âgées dans les rues dire: Nous ne voulons pas d’un autre Mobutu, d’un autre tyran, qui a pillé le pays pendant 32 ans.

Kabila:   A qui ces personnes âgées comparent-elles Mobutu? Je ne pense pas que ce soit une question appropriée en ce qui me concerne.

SPIEGEL:  Alors répondez à cette question: Quand exactement les élections auront-elles lieu?

Kabila:  Je voudrais que vous rencontriez la Commission Électorale pour obtenir la réponse à cette question.  Le Congo est un continent à lui seul.  N’analysez pas le Congo à travers le prisme de Berlin. Nous ne disposons même pas de 10% des infrastructures que vous avez en Allemagne.  Pouvez-vous imaginer comment organiser les élections à 2.000 kilomètres d’ici?

SPIEGEL: Donc il est à craindre que la tenue des élections prenne plus longtemps?

Kabila: Cela peut prendre longtemps ou pas.  Comme je l’ai indiqué avant: Si vous organisez des élections chaotiques, vous obtiendrez le chaos.

SPIEGEL: Quel rôle sera ou quelle fonction le/la vôtre après la fin officielle de votre mandat?

Kabila: Eh bien ce sera à moi d’en juger. Soyez sans crainte, je ne vais pas me suicider. Et je continuerai certainement à etre au service de mon pays.