Après un atterrissage en douceur que beaucoup d’observateurs n’ont pas vu venir avec les élections de décembre 2018, la République démocratique du Congo frôle à nouveau la zone des turbulences. La vision des anciens adversaires politiques (ou ennemis jurés pour ne pas exagérer) qui se sont réunis au sein de la coalition FCC-CACH, se heurte à des penchants contradictoires, d’où la frustration. Des étincelles, escalades verbaux, se multiplient des sommets, aux bases de l’Union pour la Démocratie et le Progrès social, ainsi que du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie.
Querelles enveloppées dans un tissu socioéconomique délétère que le président de la République tente de redresser en comptant notamment sur des investisseurs étrangers et sur le réchauffement des relations bilatérales avec les partenaires traditionnels. En 8 mois, Félix Tshisekedi a à son compte une vingtaine de voyages qui font parler. L’efficacité de sa démarche et son prix payé ne mettent pas tout le monde d’accord. Suffisant pour nous référer à l’homme du « Plan Marshall pour le redressement du Congo », Noel K. Tshiani Muadiamvita, cet ancien candidat président de la République sous les couleurs de Forces du changement, revêtu d’une double casquette d’expert en économie et de politique. Il nous livre ici ses observations, mais aussi, ses pronostics.
Docteur Noël Tshiani Muadiamvita Bonjour !
Bonjour !
Kinshasa Times : Le Congo d’avant alternance et le Congo d’après alternance, qu’est-ce qui a changé ?
Noel Tshiani : Après presque un an d’alternance intervenue au sommet de l’État, je vois les changements en terme de libertés individuelles et collectives, de libéralisation de l’espace politique, de libertés de presse et d’associations, de tolérance politique, de libération des prisonniers politiques, de retour des exilés politiques. Il y a le lancement de quelques travaux de construction d’infrastructures. Mais tout reste à faire dans le domaine économique et social et dans le sens d’amélioration du vécu quotidien de la population.
KT : Selon vous, quel impact à ce jour les forces en présence, FCC-CACH, ont sur le redressement de la RDC ?
NT : Les défis à relever dans le domaine du redressement économique et social du pays restent encore entiers. Nous avons toujours 85% de la population au chômage, absence total des routes, autoroutes, chemins de fer, aéroports et ports modernes. Nous avons toujours moins de 10% de la population ayant accès à l’eau potable, l’électricité et services de télécommunications. Le PIB par habitant continue à être de 458 dollars, l’un des niveaux les plus bas du monde. Le taux d’alphabétisation reste l’un des plus bas du monde soit environ 63%. Mais le lancement du programme de gratuité de l’enseignement primaire est une étape dans la bonne direction. La corruption et les détournements des fonds publics se poursuivent comme si rien n’a changé. L’impunité se poursuit et les détourneurs des fonds publics se pavanent dans la nature sans être inquiétés. Le budget national est passé de 5 à 10 milliards dollars américains mais reste globalement en deçà de la capacité de mobilisation des ressources du pays. Les entreprises publiques restent dans les mains des mêmes personnes qui les ont mises à genoux. La gouvernance du pays reste la même car au delà du Président de la République, des députés et des membres du gouvernement, tout le reste n’a pas changé. Le chemin vers le développement reste très long à parcourir et nécessite de la méthode pour bien mener le processus pour passer des promesses aux changements effectifs sur le terrain.
« les intentions entre partenaires dans le couple sont malsaines »
KT : Comment expliquez-vous les tensions actuelles au sein de la coalition au pouvoir?
NT : Les tensions sont normales dans un couple. Si elles sont bien gérées, le couple sera très fort. Sinon c’est le divorce. Parfois il est mieux de divorcer que de rester dans un mauvais mariage où les partenaires ne sont pas de bonne foi et poursuivent des objectifs divergents. Le FCC a géré le pays pendant 18 ans pour donner des résultats que nous connaissons dans tous les domaines. Ses ténors devraient accepter de s’asseoir dans le siège des voyageurs et non du conducteur pour laisser les autres diriger le pays au profit de tous les congolais.
KT : Pourrions-nous dire que Félix Tshisekedi et Joseph Kabila sont dans une logique de partenariat ou d’adversité politique ?
Je ne sais pas répondre à une telle question car je ne connais pas ce qui se trouve dans leurs têtes. Tout ce que je peux dire est que le peuple demande et réclame le changement dans la paix. Nous voulons tourner la page de la mauvaise gouvernance et des crimes pour embrasser la paix et le développement au profit de tous. Pour réaliser un tel objectif, les congolais doivent cesser des rivalités inutiles et regarder dans la même direction pour travailler ensemble et développer le pays.
KT : Là où sont les choses au sein de la coalition présidentielle, l’issue sera-t-elle un divorce ou une harmonie au sein de la coalition présidentielle, découlant du choc d’opinions ?
NT : Du choc d’opinions, si on est animé de bonne foi, ne peut que jaillir de la lumière dans l’intérêt du pays. Mais si les intentions entre partenaires dans le couple sont malsaines, mieux vaudra le divorce que de rester dans un mauvais mariage.
« il ne faut pas croire au Père Noël »
KT : Félix Tshisekedi affiche clairement son ambition de s’appuyer sur les partenaires extérieurs, notamment les investisseurs, les États ou encore les organisations internationales pour trouver les moyens de faire développer le Congo. Est-ce que cette option vous va ?
NT : Le développement de la RDC qui a beaucoup de défis à relever nécessite la mobilisation des ressources intérieures, bilatérales, multilatérales et des investisseurs privés nationaux et internationaux. Toutefois, il ne faut pas croire au Père Noël de la part du monde extérieur en négligeant la mobilisation des ressources intérieures. Le développement durable de la RDC doit s’appuyer sur des ressources intérieures qui sont très nombreuses et pérennes. N’oublions pas 85% des revenus des ressources minières échappent au trésor public en plus de 10 à 15 milliards de dollars américains des recettes publiques perdues chaque année à cause de la corruption et des détournements des fonds publics. A mon avis, il faut multiplier des efforts pour recouvrer ces ressources intérieures perdues pour augmenter le budget national afin de financer le développement de façon endogène et éviter de se soumettre au chantage du monde extérieur à cause des ressources internationales très aléatoires.
KT : Il n’y a pas longtemps, vous avez laissé vos marques à la Banque Mondiale, comme pour dire que la coopération internationale n’a que peu de secret pour vous. Quel crédit accorder aux promesses faites au président de la République par ceux qu’il contacte ?
NT : On peut être sûr des ressources intérieures qu’on contrôle. Et il ne faut croire aux ressources extérieures que lorsque vous les avez dans vos caisses. Sinon, des promesses restent des promesses endormantes sous des conditions parfois difficiles à remplir.
« l’agriculture est aussi importante que le cobalt »
KT : L’autre option de Félix Tshisekedi, c’est de mettre fin à la dépendance de l’économie nationale du seul secteur minier. Est-ce possible ?
Il est important de diversifier l’économie du pays pour diminuer la dépendance sur le secteur minier sujet à des fluctuations cycliques. L’agriculture, l’élevage, la pêche, le tourisme, la forêt, les infrastructures, les sévices, etc… offrent de grandes opportunités de diversification de l’économie.
KT : L’agriculture, l’énergie sont-elles capables de contribuer au budget national au même titre que le cuivre, le diamant, l’or ou le cobalt ?
NT : Bien évidement l’agriculture, l’énergie, l’élevage, la pêche, le tourisme, la forêt, les infrastructures, les sévices, sont aussi importants que les minerais tels que le cuivre, le diamant, l’or et le cobalt pour la diversification de l’économie et comme sources des recettes publiques pour renflouer le budget national.
KT : Parlant de ce dernier minerai dit : minerai stratégique. Quelle est d’après vous la marge de manœuvre de Félix Tshisekedi vis-à-vis de Joseph Kabila ?
Je pense qu’il ne faut pas polariser le débat. Joseph Kabila a déjà fini son temps en tant que Président de la RDC. Maintenant nous vivons l’ère de Félix Tshisekedi comme Chef de l’État. Prochainement ce sera quelqu’un d’autre. Le monde doit évoluer et ne pas rester figé sur des individus.
KT : En résumé, les prémisses telles que posées par la coalition FCC-CACH, où voyez-vous la RDC d’ici 2023 ?
Je ne peux pas parler de cette coalition et de sa vision pour l’avenir du pays. Il est mieux de poser cette question aux ténors FCC et du CACH. Étant donné que le PPRD vient de faire une autoévaluation à Lubumbashi, ce que je salue, je devine que ses ténors ont une vision pour l’avenir de notre pays. J’invite Joseph Kabila à un débat télévisé sur la performance du PPRD après 18 ans de règne et nos visions respectives de développement de la RDC. Moi en tant qu’Autorité morale de la Force du Changement et Joseph Kabila en tant qu’Autorité morale du FCC. Je pense qu’un débat civilisé basé sur les idées et les visions de développement du pays permettrait au peuple de se faire une idée sur qui peut mieux servir le peuple et la RDC dans les années à venir.
Nous vous remercions.
C’est moi qui vous remercie