Par Serge NZEZA MAKETA.

L’Afrique célèbre, le 24 janvier de chaque année, la journée mondiale de la culture africaine et afro-descendante. C’est l’UNESCO qui a proclamé le 24 janvier « Journée mondiale de la culture africaine et afro-descendante » (JMCA) à l’occasion de sa 40e session de la Conférence générale en 2019. Cette journée coïncide avec le thème de l’année 2021 de l’Union africaine  intitulée : « Arts, culture et patrimoine ». Le 6 février prochain, la République Démocratique du Congo prendra la présidence en exercice de l’Union africaine sous ce thème lié à la culture.  Cette journée de la culture africaine et afro-descendante célèbre les nombreuses cultures vivantes du continent africain et des diasporas africaines dans le monde entier et les promeut comme un levier efficace au service du développement durable, du dialogue et de la paix. En tant que source riche du patrimoine mondial commun, la promotion de la culture africaine et afro-descendante est indispensable pour le développement du continent et pour l’humanité en général.

C’est ainsi que  la « JMCA » a été pensée pour avoir  une forte portée symbolique : elle vise, au-delà de l’immense foisonnement culturel et artistique africain (qu’il faut découvrir et connaître) à installer la culture comme un outil efficace au service du dialogue entre les peuples et de la paix universelle.

L’événement est peu médiatisé, peu connu en Afrique en général et en RDC en particulier. Pourtant, il ya beaucoup à apprendre et à partager. L’UNESCO encourage les Africains à y participer par des activités, des débats, des conférences, des ateliers, des manifestations culturelles et des expositions. Malheureusement, la plupart des pays africains dont la RDC reste en marge d’un important événement qui a vocation à rapprocher les peuples africains et les unir. D’autant plus que la situation alarmante de la pandémie Covid-19  n’a pas facilité les choses. La plupart des événements dans le monde se font via vidéoconférence, y compris pour célébrer la journée mondiale de la culture africaine.

  1. Pourquoi célébrer la journée mondiale de la culture africaine et afro-descendante le 24 janvier de chaque année?

La décision a été prise par l’Assemblée générale de l’Unesco en 2019. D’ailleurs cette date est un hommage à la Charte de la renaissance africaine, adoptée par l’Union africaine à Khartoum, le 24 janvier 2006. Cette journée symbolique vise à célébrer, annuellement, la culture africaine dans son entièreté, célébrer l’histoire, les coutumes, les valeurs, les traditions africaines. Elle rend hommage à l’Afrique, berceau de l’humanité qui nous a donné notre existence.

Outre la promotion de la culture africaine, cette journée a aussi pour objectif de sensibiliser la jeunesse africaine, dont une grande partie a abandonné malheureusement ses valeurs culturelles, tournant le dos à son histoire et à sa culture en raison de la mondialisation, voir la « macdonalisation et la novelisation» des mœurs et valeurs. Cela permettra à cette jeunesse africaine de prendre conscience de son terreau culturel et historique riche et divers, à travers des manifestations culturelles et artistiques intenses, à travers des spectacles de danse, de musique, d’expositions d’art, de dégustations culinaires, etc. D’ailleurs, il n’est pas vain de rappeler que les Chefs d’États africains ont déclaré l’année 2021 « Année pour les arts, la culture et le patrimoine », pour l’Union africaine. C’est sur ce thème. Malheureusement, la pandémie de la Covid-19 a complètement chamboulé les rendez-vous et les programmes. Les manifestations et les festivités ont été reportées et la plupart des réunions se font par vidéoconférence.

  1. Qu’est-ce que la Charte de la renaissance culturelle africaine du 24 janvier 2006?

La Charte de la renaissance culturelle africaine (adoptée par l’Union africaine en 2006) prône que la culture est le moyen le plus efficace de donner aux États membres les moyens de renforcer leurs politiques nationales, afin de contribuer à la réalisation de l’intégration socio-économique du continent, de lutter contre la pauvreté, de relever les grands défis auxquels le continent est confronté et de construire une paix durable. De tous les autres continents, l’Afrique est la seule à avoir adopté une Charte dédiée à la renaissance culturelle. Cette Charte vient se substituer à la Charte culturelle de l’Afrique de 1976.

Peu connue et pourtant très importante, la Charte de la renaissance culturelle africaine de 2006 a pour principal objectif de préserver et promouvoir le patrimoine culturel africain à travers la conservation, la restitution et la réhabilitation. Elle vise aussi à diffuser les valeurs africaines, notamment à travers l’éducation. Portée par l’Union africaine, cette Charte n’a été ratifiée que par 14 pays (dernière consultation du site de l’UA le 23 janvier 2021). La République Démocratique du Congo (RDC) l’a ratifiée et promulguée le 15 juillet 2016 mais n’a pas encore déposé son instrument de ratification à l’Union africaine.  Cette charte entrera en vigueur dès qu’elle est ratifiée par les deux tiers des pays membres de l’UA. Ainsi la célébration de la journée mondiale de la culture africaine, le 24 janvier de chaque année, sera aussi l’occasion d’encourager les Etats de l’Union africaine à ratifier cette Charte. C’est le rôle que doit jouer la RDC durant sa présidence à l’Union africaine, d’inciter les autres Etats membres à ratifier cette charte et les autres instruments juridiques de l’Union africaine.

La Charte de la renaissance culturelle africaine vise essentiellement à affirmer la dignité de l’homme africain et de la femme africaine ainsi que le fondement populaire de leur culture ; promouvoir la liberté d’expression et la démocratie culturelle,  libérer les peuples africains des conditions socioculturelles qui entravent leur développement; réhabiliter, restaurer, sauvegarder, promouvoir le patrimoine culturel africain; combattre et éliminer toutes les formes d’aliénation et d’oppression culturelles; favoriser la coopération culturelle entre les États africains en vue du renforcement de l’unité africaine et d’une meilleure compréhension entre les peuples; développer dans le patrimoine culturel africain toutes les valeurs dynamiques et rejeter tout élément qui soit un frein au progrès ; doter les peuples africains de ressources leur permettant de faire face à la mondialisation ; créer des « maisons d’Afrique », collaborer avec elles et faciliter la coopération entre elles ; etc.

Parmi les principes énoncés par la charte : l’accès de tous les citoyens à l’éducation et à la culture; la libération du génie créateur du peuple et respect de la liberté de création;  respect des spécificités et des authenticités nationales et régionales dans le domaine culturel; renforcement de la place de la science et de la technologie moderne dans la vie culturelle des peuples africains;  échange et diffusion des expériences culturelles entre pays africains. Dans cette Charte, il y a tout pour redonner de l’espoir aux peuples africains.  Par ailleurs, nous pensons que cette Charte devra évoluer, aujourd’hui, pour englober aussi l’idée de la restitution des objets d’art destitués.

  1. La controverse autour de la restitution des œuvres d’art et biens culturels africains

Les siècles d’esclavage et de colonisation en Afrique ont conduit à la déportation de milliers d’œuvres d’art hors du continent africain, de l’Egypte pharaonique, en passant par Carthage (Tunisie), Algérie, RDC,  Sénégal, Bénin, Mali, Cameroun, Togo, Bénin, Nigéria, Ethiopie, Tanzanie, Kenya, Zimbabwe, Afrique du sud, etc.

A vrai dire, l’Afrique a subi une hémorragie de son patrimoine pendant la colonisation et même après, avec les trafics illicites. L’UNESCO soutient, d’ailleurs, depuis plusieurs années, le combat des pays, qui en Afrique et ailleurs, exigent la restitution de leurs biens culturels disparus lors de l’époque coloniale.

Pourtant, des œuvres déportées s’inscrivent, de façon  intrinsèque, dans l’histoire du continent et représentent un pan important de l’identité culturelle de l’Afrique. En conséquence, il est important de mettre en place le cadre juridique et pratique relatif à la restitution des pièces saisies lors de conquêtes militaires, mais aussi celles collectées durant les missions scientifiques ou par des agents de l’administration coloniale. Il est important de penser le retour des biens acquis illégalement lors du trafic illicite d’œuvres d’art.

Aussi, nous pensons qu’il est important de créer un Observatoire africain de la culture et du patrimoine qui puisse inventer et proposer les stratégies et plans d’action qui constituent une base solide pour l’orientation, le pilotage et l’évaluation des politiques culturelles au niveau continental.

En conclusion, on peut dire que depuis le manifeste culturel africain adopté en 1969 à Dakar, jusqu’à la Charte pour la renaissance culturelle de l’Afrique adoptée les 23 et 24 janvier 2006 à Khartoum, en passant par toutes les résolutions, décisions et plans d’action relatifs à la culture africaine, adoptés par l’OUA et par l’Union africaine en cinquante ans, et en dépit de tous les éléments positifs qui peuvent encourager les Africains à développer leurs politiques culturelles, il reste beaucoup à faire, pour que ces discours ne soient pas vidés de leurs sens.

De surcroit, nous constatons, avec amertume, le grand décalage entre les objectifs, les ambitions et les déclarations et entre leur mise en œuvre réelle au niveau continental, sous continental et national.  Aujourd’hui, les cultures africaines sont sérieusement menacées par les processus incontrôlés de la mondialisation, ainsi que l’invasion des modèles culturels étrangers et produits culturels de masse. Les modes de vie, les valeurs ancestrales, les connaissances et savoir-faire traditionnels sont marginalisés ou en voie d’extinction. Aussi des menaces diverses pèsent sur la riche diversité des cultures locales, traditions, langues et patrimoine culturel et immatériel africain. S’y ajoutent la faiblesse des institutions, les contraintes financières persistantes et le manque de personnel et d’infrastructures spécifiques.

Par conséquent et pour que les cultures africaines puissent faire face à tous ces enjeux et jouer un rôle dynamique dans le développement économique et social des peuples de l’Afrique, la vie culturelle africaine ne doit pas seulement être célébrée une fois par an, elle devra être persévérée et développée à travers des politiques continentales cohérentes, efficaces et harmonisées.

Les peuples africains devraient regarder ensemble dans la même direction afin de réussir à former une communauté solidaire au destin partagé et pour cela, la culture est la porte d’entrée.

Serge NZEZA MAKETA

                                             Expert et Assistant du Coordonnateur du Panel