Global Witness, organisation non-gouvernementale britannique pour la promotion de la transparence et de la redevabilité, a publié le 21 juillet 2017 un rapport dénonçant une évasion fiscale en RDC d’un montant de 750 million de dollars sur la période allant de 2013 à 2015. Dans le souci de mieux informé l’opinion publique, la rédaction de KINSHASATIMES.CD a échangé avec PETER JONES, Chargé des Campagnes sur la RDC au sein de Global Witness. Tout savoir sur la disparition de ces millions de dollars  et plus dans cette interview exclusive.

KINSHASATIMES.CD : Le rapport publié par Global Witness le 21 juillet 2017 sous le titre de « Distributeur Automatique des Billet du Régime » affirme que 750 million de dollars auraient échappé au trésor public congolais. Comment êtes-vous parvenus  à établir ce chiffre ?

PETER JONES : Nous avons analysé les données de paiement publiées par l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE) et d’autres sources afin de comprendre si les paiements miniers (taxes, royalties etc.) en RDC atterrissent dans le trésor public. Nous sommes parvenus à la conclusion qu’entre 2013 et 2015, la somme de 750 million de dollars payée aux régies fiscales (notamment à la DGI, la DGDA et la DGRAD) et à la GECAMINES n’a pas atterri dans le trésor public. La destination prise par cet argent reste un mystère.

KINSHASATIMES.CD : Comment cet argent a-t-il disparu?

PETER JONES : Les rapports de l’ITIE indiquent très clairement que les régies fiscales retiennent un pourcentage des amendes “pour leur propre compte”. Les preuves que nous avons réunies lors des interviews avec les opérateurs économiques, les agents des administrations fiscales, des politiciens, des diplomates et la société civile indiquent que l’argent retenu par ces régies fiscales constitue la «chasse gardée» des directeurs de ces régies qui entretiennent des liens étroits avec la Présidence ou la Primature.

KINSHASATIMES.CD : Vous attribuez cette évasion fiscale à un système fiscal congolais en panne. Que reprochez-vous à ce système ?

PETER JONES : L’un des problèmes que nous avons identifiés dans le système fiscal congolais est son caractère trop fragmentaire et compliqué. Il doit être plus simplifié et plus transparent. Par ailleurs, la méthode consistant à autoriser aux régies financières de retenir un pourcentage des amendes qu’elles imposent a encouragé un comportement prédateur de la part des agents de ces régies. Il faudrait y mettre un terme.

KINSHASATIMES.CD : Le rapport n’est pas non plus clément envers la GECAMINES qu’il qualifie de « véritable trou noir dans l’économie congolaise ».

PETER JONES : Nous avons analysé non seulement les rapports d’ITIE mais aussi de la documentation qui a fuité et nous avons collecté des témoignages indiquant que des sommes d’argent ont été ponctionnées de la GECAMINES par voie des transactions suspectes. Nous avons en particulier examiné une série « d’avances sur fiscalité » effectuées par la GECAMINES par lesquelles la société a payé plus de 95 million de dollars au titre d’avance sur fiscalité seulement en l’espace de sept mois. Chose très étrange, la GECAMINES a instruit  la BGFI Bank de mettre de côté 8 million de cet argent comme cash au guichet. Il s’agit là d’une pratique tout à fait inhabituelle et nos sources nous ont indiqué  qu’il s’agit d’une «opération de détournement».  Il sied de rappeler que la BGFI Bank a pour Directeur Général le frère adoptif de Joseph Kabila, en l’occurrence Monsieur Francis Selemani Mtwale.

KINSHASATIMES.CD : Une bonne partie du rapport semble tirer ses données des chiffres fournis par l’ITIE. Or ces chiffres indiquent que les efforts de la RDC pour plus de transparence dans le secteur minier commencent à produire des dividendes, notamment avec 2 milliards de dollars en recettes gouvernementales pour 2014 provenant du secteur minier.  Une contradiction ?

PETER JONES : L’ITIE a certes amélioré la transparence dans le secteur minier congolais et la contribution du secteur aux recettes budgétaires s’est effectivement améliorée d’année en année de 2013 à 2015. Nous l’avons reconnu dans notre rapport et il s’agit là évidemment d’un pas positif. Cependant, ces recettes auraient pu être plus significatives si un cinquième de celles-ci n’était pas retenu par ces régies fiscales opaques. Et c’est précisément cette opacité que notre rapport tente d’élucider.

KINSHASATIMES.CD : Les sociétés minières opérant en RDC, dont nombreuses sont constituées dans des paradis fiscaux, ne facilitent pas la transparence. Votre point de vue.

PETER JONES : Global Witness a mené une longue campagne contre le secret entourant les sociétés offshore et les paradis fiscaux. Nous croyons que ces sociétés écran offshore sont utilisées comme « mécanismes de contournement » pour les transactions économiques criminelles. Et l’opacité qui entoure ces sociétés nuit à toute économie. Nous avons mené des campagnes en faveur d’une transparence totale quant aux propriétaires des sociétés minières opérant dans le secteur minier congolais.

KINSHASATIMES.CD : Quelles sont les recommandations que vous formulez pour une meilleure participation des ressources minières au développement de la RDC ?

PETER JONES : Au fur et à mesure que les prix augmentent et que d’énormes marchés sont signés, il est plus important que jamais que les organismes et entreprises chargés de percevoir et de transférer les revenus issus du secteur minier de la RDC fonctionnent dans la transparence et dans l’intérêt du peuple congolais. Si ce n’est pas le cas, les auditeurs publics du Congo, les gouvernements donateurs, les compagnies minières internationales et la société civile doivent encourager et faire pression sur ces compagnies et organismes afin qu’ils fassent preuve de transparence.

Pour voir toutes nos recommandations, je vous conseille de jeter un coup d’œil sur notre rapport pages 32 et 33.